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Effet transistor, Effet papillon


Petites causes, grands effets

L’habitude de la mécanique classique, où dominent les lois de proportionnalité, conduit souvent à une vision simpliste des causalités, selon laquelle les effets sont proportionnés aux causes. « Normalement », de petites causes doivent en principe produire de petits effets, et de grandes causes de grands effets. C’est ce qu’on appelle une logique linéaire, mais on peut aussi parler de continuité.

Nous savons cependant que les choses sont souvent beaucoup moins simples. Pour commencer, la notion de petitesse ou de grandeur est relative : ce qui est petit à l’échelle de l’univers peut être énorme à l’échelle de notre monde quotidien, et des phénomènes en apparence mineurs ou imperceptibles peuvent avec le temps avoir des effets notables, voire importants. On reste toutefois ici dans une logique de proportionnalité.

Mais aussi, il ne manque pas d’exemples dans le monde où sans effet d’accumulation, on peut voir une petite cause (ou une petite variation dans la cause) entraîner des effets de grande ampleur. Cette propriété qu’on analyse comme une absence de continuité dans la réponse est désignée par les scientifiques sous le terme de logique non linéaire. Elle est généralement attachée à des systèmes ayant une certaine complexité.

Ce sont des circonstances où la régulation est rendue très sensible, difficile ou même impossible, et selon les cas on parlera de seuils, de discontinuités, de sauts (voire de sautes d’humeur), d’évolution capricieuse, d’instabilité, d’imprévisibilité, de chaos.

Régulation ou hasard

En bonne logique, il convient de distinguer les phénomènes dont le déterminisme nous est accessible (malgré une sensibilité rendant le contrôle délicat) et ceux dont le déterminisme nous échappe, qui pour nous relèvent du hasard.

Dans le premier cas, à propos de processus déterministes où une action minime peut contrôler des changements de grande ampleur, on parle parfois d’effet transistor. Le transistor est un composant omniprésent dans l’électronique capable de produire de fortes variations de courant électrique modulées par un faible signal régulateur. Son fonctionnement est analogue à celui d’un robinet qui permet par des mouvements minimes de la manette d’obtenir de fortes variations de débit. Le transistor a supplanté (notamment dans les amplificateurs) d’autres dispositifs plus coûteux et plus volumineux comme les lampes électroniques, et sous une version très miniaturisée, il est le composant de base des puces et des processeurs omniprésents en informatique.

Malgré cette formulation un peu savante, l’effet transistor nous est plus familier qu’on ne pense, notamment dans notre civilisation presse-bouton (et à fortiori informatique) où constamment, nous déclenchons des actions d’ampleur au prix d’efforts très réduits.

Dans le cas de logiques probabilistes où une action minime peut engendrer de façon incontrôlée des effets de grande ampleur, on parle
d’effet papillon. Pour certains phénomènes aux déterminismes très complexes il peut suffire d’une variation infime d’un paramètre pour que l’évolution se fasse dans des directions radicalement différentes. On qualifie cette évolution de chaotique, et dans la pratique, cela veut dire que ces systèmes sont imprévisibles. Le terme d’effet papillon, sous lequel ce type de causalité est devenue populaire fait allusion à un battement d’aile de papillon supposé pouvoir en théorie engendrer dans des circonstances favorables mais mal connues le germe d’un cyclone lointain.

L’effet transistor présente un certain attrait puisqu’il donne l’espoir de contrôler « à peu de frais » des phénomènes de grande ampleur pour les mettre à notre service. Il est pourtant intéressant de faire remarquer qu’à partir d’un certain degré de complexité, l’effet transistor débouche sur l’effet papillon. En effet, lorsqu’une technique est puissante, elle s’accompagne aussi d’une certaine complexité et une petite erreur de contrôle fortuite peut engendrer un accident de grande ampleur. L’histoire des techniques est émaillée de telles catastrophes, et les débats qui accompagnent l’évolution technique, avant les innovations ou après les catastrophes, illustrent ce lien. Selon les cas, on tente par le perfectionnement technique de renforcer le contrôle pour récuser le principe de précaution, ou à défaut (et cela dénote une sorte de  fatalisme) on renonce à désigner des coupables et on traite de façon probabiliste la réparation par des systèmes d’assurance.

Lorsque les causes sont petites, les liens de cause à effet sont plus difficiles à établir, surtout s'ils ne sont pas volontaires et contrôlés.  C'est ainsi que le recours  généralisé à la chimie complexe pour contrôler la biologie dans le domaine médical comme dans le domaine agricole pose le problème des effets induits par les restes des produits employés. Si les partisans de ces méthodes revendiquent l'efficience des traitements qu'ils promeuvent, comment peuvent-ils récuser si catégoriquement tout effet secondaire de petites doses sur le long terme? Au moins ne devraient-ils pas s'opposer à ce que des études (indépendantes, cela va de soi) soient faites sur ces sujets difficiles.

On peut appliquer ces notions physiques à la biosphère terrestre, vue comme un système au fonctionnement complexe. Par exemple, dans le système climatique, il y a de l’effet transistor et de l’effet papillon. Effet transistor à propos du réchauffement induit par l’émission de gaz à effet de serre qui même en excès restent en faible proportion dans l’atmosphère. Effet papillon si ce réchauffement, en dépassant une valeur apparemment modeste de quelques degrés, aboutit à un bouleversement imprévisible du fonctionnement climatique global. Une des difficultés à laquelle les hommes sont confrontés est d’arriver si possible à agir collectivement sur ces facteurs de régulation, avec l’espoir d’éviter une évolution trop instable. Cela peut s’analyser comme un problème de comportement collectif des sociétés humaines.

Application aux sociétés humaines

L’effet transistor tout comme l’effet papillon dont le nom provient du monde des sciences et des techniques peuvent être extrapolés, notamment à propos des activités humaines. L’économie et la politique, par la complexité des phénomènes qu’elles tentent de régenter sont couramment sujettes à ces logiques causales non linéaires.

On a un cas typique d’effet papillon quand, à partir d’une manipulation minime ou d’une simple rumeur, rapidement propagée par les réseaux et l’hyperréactivité des agents stressés, une panique boursière se déclenche. Les autorités qui tentent de la calmer par leurs interventions espèrent à l’inverse bénéficier de l’effet transistor.

Certains banquiers qui s’étaient adjoints les services de mathématiciens de haut niveau ont incité les autorités à déréguler la finance, pensant être plus capables que d’autres de tirer profit de l’instabilité boursière qui en résulterait. Mais eux aussi ont joué de l’effet transistor grâce des connivences dans la politique ou la haute administration. Tous les dirigeants savent bien qu’une campagne médiatique bien menée ou une action de lobbying bien ciblée peuvent influer sur la société notamment en agissant sur l’opinion d’acteurs parfois peu nombreux, mais bien placés dans le circuit de décision.

La régulation des comportements par l’incitation fiscale est un outil classique des gouvernants qui relève de l’effet transistor, et il ne manque pas de voix pour en appeler à une fiscalité écologique qui pourrait induire de notables changements de comportement collectif. On peut en voir la concrétisation dans les pays qui ont adopté de telles mesures.

L’effet transistor est aussi à l’œuvre quand l’éducation à une morale partagée et la régulation du comportement de l’individu par le regard des autres débouchent sur l’harmonie sociale et la cohésion du groupe. Une foule peut aussi voir son pouvoir décuplé par l’intervention d’un petit nombre d’individus, capables parfois par leur seule parole, de l’organiser et de donner de la cohérence à son action. Les policiers qui cherchent à arrêter les meneurs d’une insurrection, ou les provocateurs qui infiltrent une manifestation ont intégré cette logique des petites causes pour de grands effets.

Dans le domaine de l’imprévisible, un fait mineur et relativement banal peut parfois prendre une grande ampleur et une valeur symbolique forte par la position sociale ou médiatique de ses protagonistes, une révolution peut se déclencher à partir d’un événement localisé a mis le feu aux poudres. Pensons à l’affaire du Sofitel de New York en mai 2011, ou à ce qui a déclenché la révolution de jasmin en Tunisie.

effet_papillon

Ceux qui croient aux lois de l’histoire ou à l’action politique penseront en termes d’effet transistor,
essayant de démêler les facteurs déterminants pour l’évolution de la société. Ceux qui préfèrent la providence analyseront les secousses historiques en termes d’effet papillon et verront leurs causes dans la succession hasardeuse de faits ponctuels.
Combinant ces deux principes, les tenants des théories du complot chercheront à redonner une lisibilité logique à des événements exceptionnels grâce à des explications (plus souvent fantasmées que réelles)  déterministes dans leurs effets, mais aux causes très improbables.

Cet éclairage sur la complexité du monde contemporain peut inciter à une démission fataliste. Il peut aussi, en mettant à l’épreuve notre sens usuel de la prudence, pousser à invoquer plus souvent le principe de précaution, dès lors qu’il apparaît que les effets de nos actions risquent d’être disproportionnés. Cette attitude qui met en avant le risque de perte de contrôle est généralement vécue comme anxiogène.

A l’inverse, on pourra trouver un certain réconfort en rappelant la face positive de cette disproportion entre cause et effet, lorsque confrontés à des problèmes de grande ampleur, l’espoir subsiste qu’un déclencheur judicieusement choisi permette de trouver une issue heureuse, providentielle mais pas pour autant miraculeuse.



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transistor_1
le premier transistor (1947) 


robinet
régulation par une action minime: le robinet







papillon_1
le papillon, un déclencheur d'ouragans ???  

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