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 Billets anciens


Ci dessous seront archivés, par ordre anté-chronologique, les billets précédents.

17. Antichambres, coulisses, où est le pouvoir ? (mi-septembre 2014)
16. Les populismes à l'assaut de l'Europe ? (début juin 2014)
15. Finance et jardinage (début mai 2014)
14. A propos du pic de pollution du mois dernier (début avril 2014)
13. La planète peut attendre, pas les marchés
12. La nature est-elle réactionnaire? (retour à la bougie et néopétainisme, mi février 2014)
11. Comment j'ai vu le Brésil (colonialisme, croissance, inégalités, début janvier 2014)
10. Vive le sport ? (sur la religion du sport, opium du peuple, début décembre 2013)
9.   En avant, fuyons ! (sur la géoingénierie, fin oct 2013)
8.   Extension du domaine de la ville (Notre Dame des Landes, Grand Paris, juin 2013)
7.   Idéologie, réalisme (climatologie versus économie, mi mai 2013)
6.   Mensonges, morale, argent (suite à l'affaire Cahuzac, le lobbyisme, mi avril 2013)
5.   Transition énergétique (mauvais traitement médiatique , fin mars 2013)
4.   Du temps pour lire et pour penser ( H. Kempf, M. Dufumier, J.M. Truong, mi février 2013)
3.   Prophéties, pronostics, prospectives (Bonne année 2013, début janvier 2013)
2.   Importance du passé quand le futur est bouché (Ivan Illich, début décembre 2012)
1.   Mue, mutation  (premier billet, changement de vie, changement du monde, début novembre 2012)

  17. Antichambres, coulisses, couloirs, où est le pouvoir?

mi-septembre 2014

Mon dernier billet date déjà de trois mois, les occupations de l'été m'ayant un peu tenu à distance du clavier, il est donc temps que je m'y remette. Non sans lien avec certaines actualités, j'ai choisi de consacrer ce billet aux détournements de la démocratie par le lobbying et l'influence.

En effet, je ne pense pas être seul à constater que l'actualité politico-médiatique ressemble de plus en plus à une sorte d'écran animé, masquant aux citoyens les jeux de coulisses et les concertations en petits comités où sont adoptées les orientations collectives qui sont ainsi soustraites au contrôle démocratique. Pendant qu'en vitrine, on nous distrait à grand renfort de sondages avec la course à la présidentielle de dans trois ans, que les médias nous resservent le story-telling des communicants de tout poil, qu'on nous révèle de prétendus secrets, ou qu'on nous "tease" avec de faux suspense, ce qui se décide résulte en réalité de l'action plus ou moins occulte de lobbys et de l'influence de think-tanks alimentés en sous-main par des intérêts (le plus souvent) économiques.

Ainsi, en ce moment, la loi Duflot sur le logement (loi ALUR), est accusée du marasme immobilier actuel avant même son entrée en vigueur effective, et vidée de son contenu, suite au lobbying intense (et assez voyant) des professionnels de l'immobilier qui veulent continuer à profiter outrageusement de la dérégulation du marché, alors qu'elle n'a produit depuis dix ans que pénurie et prix excessifs (*).

La loi de transition énergétique en gestation est également l'objet de telles manoeuvres, visant encore une fois à repousser les échéances difficiles et permettant au final d'habiller en vert des options qui préservent avant tout le pré carré de notre électricien national.

Le niveau européen, par la structure de ses institutions et l'intense lobbying qui s'active à Bruxelles est un cas exemplaire d'opacité démocratique et de détournement par les groupes d'intérêt. Des décisions qui engagent lourdement l'avenir y sont prises dans l'entre-soi, le contrôle parlementaire ayant du mal à s'y exercer. Ainsi, on ne sait que par des fuites (en général démenties car non authentifiées) ce qui se négocie au niveau commercial avec l'Amérique du Nord (**), alors qu'au nom du principe de libre échange on risque de mettre à mal certaines exigences culturelles ou environnementales, et surtout de favoriser encore plus les grandes multinationales face aux états dans les conflits opposant intérêt commercial et intérêt général.

Enfin, j'ai trouvé d'autres exemples de la mise en oeuvre concertée de ce genre de méthodes dans ma récente lecture du livre "Les marchands de doute" des historiens des sciences Naomi Oreskes et Erik M. Conway (***). Ces auteurs démontrent implacablement comment des intérêts industriels sont parvenus à entraîner dans leur cause quelques scientifiques de renom pour mettre en doute publiquement et avec la plus grande mauvaise foi des résultats scientifiques bien établis concernant (entre autres) les méfaits du tabac ou les causes humaines du changement climatique. Ce livre explique en particulier comment leurs convictions politiques pro-capitalistes ont poussé des scientifiques à engager leur prestige dans ces mauvaises querelles, et comment la dissymétrie entre la prudence scrupuleuse des revues scientifiques et le sensationnalisme de la presse grand public a joué en faveur de ces semeurs de doute, retardant la prise en compte des risques au niveau politique pendant de longues années (pour ne pas dire des décennies).

Tout autant que les pouvoirs autoritaires, mais peut-être par des voies un peu différentes, les démocraties peuvent être détournées de l'intérêt général par des actions d'influence, de lobbying, ou de manipulation des idées. Au delà même du secteur des médias, qui malgré ses proclamations offusquées n'est pas exempt d'influences, il existe une vaste nébuleuse de cabinets de communication, d'analystes juridiques, de cercles de réflexion, d'élaboration de savoirs dont l'activité intéressée cible l'opinion et surtout les lieux de décision politique.

Les élus et les gouvernants devraient en principe représenter la population qui, directement ou indirectement, les met en place, mais la logique des parcours élitistes instaure déjà des proximités, pour ne pas dire des complicités avec les milieux d'affaires. Si cela ne suffit pas, l'organisation de conférences de colloques ou de mondanités au casting étudié (et aux droits d'entrée parfois coûteux) permettra aux élites économiques de parler en privé aux ministres ou aux parlementaires. La fréquentation de certains clubs ou la présence lors de grandes occasions (****) figurent à l'agenda des uns comme des autres. Ainsi la finance ou les grands industriels de l'énergie, des transports, de la sécurité, parviennent-ils à placer des relais proches du pouvoir politique, à adresser aux parlementaires des dossiers clés en mains ou des textes de projets de lois, à infléchir l'orientation des médias, ce qui leur permet d'influer sur les grands choix politiques sans trop se montrer, tandis qu'en façade se joue un théâtre du pouvoir dont les aléas ne toucheront pas l'essentiel. Grâce au discours médiatique dominant, l'essentiel de l'espace politique est ramené à l'alternative entre Gauche moderne ou droite raisonnable. Quel que soit le choix, le primat absolu de l'Economie et du Marché sera reconnu, et on ancrera dans les esprits l'idée que l'impôt est toujours une confiscation nourrissant un Etat si mal géré qu'il ferait mieux de ne rien faire. L'inquiétude environnementale qui émerge au gré des rapports scientifiques n'est pas reliée aux choix politiques, elle est stigmatisée comme catastrophiste et démobilisatrice, dénoncée comme un luxe de riches ou encore comme un retour de l'ordre moral. Pourquoi s'occuperait-on de réformer notre modèle de civilisation alors que tant de pays sont sous l'emprise de la nécessité ? Avec un hypocrisie confondante, notre machine économique prétend trouver dans l'exploitation de cette misère un réservoir de croissance qui lui fait défaut dans nos pays gavés par trop de faux confort.
La dominance universitaire et médiatique d'une certaine pensée économique, le jeu des portes tournantes (*****), les forums comme Davos, le contrôle des relais médiatiques, tout cela contribue à formater la manière de poser les problèmes, d'envisager les solutions, tout en sauvant les apparences du jeu démocratique et de la liberté de penser.

Certes, les simples citoyens qui veulent résister à la doxa ambiante peuvent aussi, grâce aux associations et aux ONG, entretenir par leur bénévolat, leurs cotisations et leurs dons un contre-lobbying citoyen cherchant à rétablir l'équilibre. Au moment des échéances démocratiques, l'opinion peut aussi par le vote tenter de faire pression sur les dirigeants. Mais lorsqu'on compare les moyens alignés de part et d'autre dans cette véritable guerre de communication, lorsqu'on mesure le pouvoir d'influence des milieux d'argent qui tiennent les politiques par la logique de la dette et qui influent sur les esprits grâce à la possession des médias où à la publicité, lorsqu'on compare tout cela à la fragilité des actions citoyennes et à leur manque de cohérence(******), lorsqu'on constate la connivence des pouvoirs politiques avec les puissances économiques (ne parlons même pas du financement des campagnes électorales aux USA), on doit admettre que la balance est loin d'être équilibrée. Il est facile pour les dirigeants de proclamer que le chômage vient d'un PIB en stagnation et d'un "manque de compétitivité" et de nier que la transition vers une société plus coopérative et plus sobre soit une urgence. Au besoin, le déchaînement de passions sportives ou l'effroi d'un fait divers bien sanglant détourneront l'opinion d'une réflexion plus poussée.

Au fond, on pourrait presque s'étonner que surnagent encore des idées qui s'opposent aux puissances d'argent et à la vision économiste dominante, comme celles qui défendent l'environnement et la responsabilité concernant les enjeux de long terme, celles qui défendent une conception moins consommatrice du bonheur et une prospérité sans croissance. C'est probablement parce qu'elles sont bien fondées que ces idées parviennent encore, même déformées, simplifiées ou futilement récupérées par la mode, à mobiliser un peu partout des citoyens pour la défense d'une biosphère vivable et l'émergence de pratiques respectueuses des enjeux d'avenir.


(*) On suivra avec intérêt sur le site @rrêt sur images l'émission avec Cécile Duflot en personne, malheureusement accessibles aux seuls abonnés. (retour)
(**) Voir différents sites maintenant la vigilance sur le traité TAFTA en tapant cet acronyme sur un moteur de recherche. (retour)
(***) éditions Poche-Le Pommier 2014 pour la traduction française. (retour)
(****) le forum de Davos, les conférences Bilderberg, ou la commission Trilatérale, mais aussi les dîners du Siècle, ou les universités d'été du Medef parmi bien d'autres. (retour)
(*****) On nomme ainsi aux Etats-Unis les parcours de carrière alternant entre la haute fonction publique et la direction dans le milieux d'affaire privés. En France, ce qu'on appelle le pantouflage (départ bien payé dans le privé des hauts fonctionnaires) tient de la même logique. (retour)
(******) Les lobbys citoyens ou les ONG ne défendent pas tous un intérêt général cohérent ou des conceptions humanistes. Les intérêts particuliers peuvent ainsi s'opposer les uns aux autres, et s'affaiblir mutuellement, à quoi s'ajoute que certains de ces lobbys citoyens sont parfois le paravent d'intérêts économiques ou industriels. (retour)


16. Les populismes à l'assaut de l'Europe?

début juin 2014

Les dernières élections au parlement européen ont fait fleurir dans les médias le mot de populisme. Ce n'est en réalité pas nouveau, puisqu'il y a deux ans, j'avais été incité à mettre en ligne une page sur ce thème. Il me semblait déjà qu'on cédait à la facilité en attribuant l'étiquette populiste à des discours très différents. Je ne nie pas que le débat politique actuel soit effectivement miné par diverses formes de populisme, mais je pense qu'on doit aussi s'interroger sur ce procédé qui par principe condamne sans les distinguer de multiples manières de contester la sclérose des démocraties contemporaines et l'influence prise sur elles par les puissances d'argent.

Il n'est pas surprenant que l'Europe, où la distance des dirigeants aux peuples est pour ainsi dire maximale, soit sujette à cette maladie de la démocratie, car l'existence réelle ou fantasmée de populismes n'est que le revers de l'éloignement grandissant des élites, sous l'effet de la concentration des pouvoirs d'argent, de l'augmentation des périmètres politiques du fait de la mondialisation, des stratégies d'auto-reproduction des castes sociales privilégiées.

Par sa simple existence, le populisme met en question la légitimité de l'élitisme, qui ne va pas de soi. Comment les élites ont-elles acquis leur position, comment se renouvellent-elles? sont-elles des castes fermées ou sont-elles ouvertes au brassage social et au mérite? Leur pouvoir est-il excessif, en font-elles un usage abusif, ou l'utilisent-elles au moins en partie dans le sens de l'intérêt général ?

C'est parce que ces questions complexes méritent d'être posées qu'il faudrait discerner la remise en cause légitime des élites de la contestation populiste. Mais le débat public simplifie volontiers et les formations politiques dont proviennent les élites de l'Europe ne manquent pas elles non plus de recourir aux arguments primaires (l'Europe c'est la paix, c'est le progrès ...) ou à faire jouer la peur tout en se considérant par principe exemptes de populisme.
Pour ces tenants du statu quo en Europe, tous les partis "eurosceptiques", "eurocritiques" ou "europhobes" relèvent ainsi du populisme. Cet amalgame permet de rejeter dans un même opprobre ceux qui pointent des boucs émissaires ou argumentent à coup de slogans aussi lapidaires que simplistes et ceux qui formulent des diagnostics raisonnés à partir de faits vécus ou d'une histoire documentée.

Lorsqu'il cesse d'être marginal et devient une obsession pour les classes dirigeantes, le populisme devrait être regardé comme le symptôme d'un dysfonctionnement démocratique. C'est parce qu'ils n'ont pas de perspective d'amélioration et qu'ils désespèrent d'être entendus ou simplement représentés en haut lieu que les défavorisés sont un terreau fertile pour les populismes. Il faudrait alors réduire le populisme à sa source plutôt que d'en appeler à sa condamnation morale, et pour cela, instaurer des contre-pouvoirs, nourrir le débat, et limiter l'ampleur et la durée des privilèges. Cela passe par des politiques redistributives et du brassage social pour faire tourner la roue de la chance.

On peut croire à l'Europe tout en constatant que l'Union Européenne est un club fermé de chefs d'états secondés par une technocratie qui ne concèdent que peu de pouvoir au parlement élu. A Bruxelles ou à Strasbourg, l'influence des lobbys mine les réseaux de décision tandis que l'initiative citoyenne est bridée, les contre-pouvoirs peinent à s'exprimer en dehors de médias confidentiels, de blogs ou de sites associatifs noyés dans le foisonnement de la toile. C'est cet éloignement de l'idéal démocratique qui fait fleurir les contestations plus ou moins populistes.

Le débat politique préalable aux dernières élections a été réduit à peu de choses, les affaires européennes ont été présentées par la presse comme obscures, techniques et ennuyeuses, mais on n'en a pas moins demandé aux électeurs d'oublier le mécontentement qu'ils ont accumulé envers l'Europe et de se mobiliser pour faire barrage aux populismes.

A voir l'ampleur de l'abstention, ces discours n'ont manifestement pas porté.

15. Finance et jardinage

début mai 2014
Ce mois-ci, j'ai ajouté dans les pages sciences une série de schémas décrivant le fonctionnement d'ensemble de l'économie capitaliste. Cela me paraît salutaire si on veut décrypter les arguments économiques employés un peu partout pour justifier les choix ou les absences de choix de nos dirigeants. Ces schémas sont inspirés des explications données dans le "petit cours d'autodéfense en économie" du canadien Jim Stanford. Ils simplifient la réalité mais mettent bien en évidence la nécessité d'un équilibre entre logiques de profit privé et interventions publiques dans l'économie. Ils montrent aussi par quels circuits s'organise l'accumulation des richesses dans la sphère financière internationale.
On observera que l'évolution des trente ou quarante dernières années tient pour beaucoup à l'émergence et à la dominance des doctrines (ou théories) néolibérales, postulant (ce qui est très discutable) que le laisser-faire économique et la réduction des états ne peuvent être que bénéfiques.
Depuis la crise financière de 2008 et ses répercussions notamment en Europe, les failles de ces théories sont manifestes et on commence à entendre un peu plus s'exprimer des économistes opposés à ces idées. Le succès tout récent de la tournée américaine de Thomas Piketty (*) est un signal particulièrement intéressant, mais il n'est pas le seul. Pour ceux que cela intéresse, je recommande d'un côté le blog de Jean Gadrey (**), préoccupé par la transition écologique, et la réflexion de Gael Giraud (***), visant à redonner aux questions énergétiques la place fondamentale qui leur revient.
En effet, si l'économie financière tire les profits qu'elle accumule de ce que produit l'économie réelle, cette dernière puise la plus grande part de ses moyens dans la nature, qu'il s'agisse des matières premières, des sources d'énergie ou de la vie des hommes.
La complexité des circuits dilue les responsabilités et organise une course à la croissance qui épuise la biosphère. Pour sortir de cette logique, il faudrait que l'économie réelle raisonne sur un mode durable avec les ressources qu'elle tire de l'environnement, comme le bon jardinier qui en favorisant les cycles naturels et une certaine diversité maintient son jardin en mesure de produire pendant de nombreuses années. Encore faudrait-il pour qu'une telle mutation soit possible que le monde financier ait un comportement responsable envers l'économie réelle, qu'il abandonne le dogme de la croissance sans fin et qu'il se convertisse lui aussi à la sagesse du jardinier :  tenir compte du long terme, des limites matérielles, de la nécessité de permettre au monde dont on tire profit de s'entretenir en bonne santé et de se régénérer.
La sagesse du bon jardinier est une adaptation au contexte et à ses limites, un compromis entre optimisation et modération. Elle s'apprend par des observations attentives, par de l'expérience accumulée et transmise d'une génération à l'autre. Pour le monde de la finance (qui aujourd'hui se comporte comme l'agriculteur intensif qui épuise son sol et dope ses plantations par la chimie ou les pesticides), cette sagesse consisterait à comprendre que les profits prennent leur origine dans travail des hommes, dans la nature, et qu'ils sont plus ramasseurs que créateurs de richesse comme on nous le répète partout. Et donc par suite, comprendre qu'il faut accepter de réduire sa pression, de limiter ses appétits pour maintenir en bon état les sociétés et leur environnement. Mais qui peut croire que la finance soit capable d'apprendre au fil des crises et qu'elle en vienne à s'autoréguler? On ne peut guère attendre qu'elle prenne d'elle même les mesures permettant le retour à une exploitation économique modérée respectueuse de la richesse de la biosphère et du fonctionnement de ses cycles. C'est donc à la politique de reprendre la main et de défendre l'intérêt général. Encore pour cela faudrait-il que le dirigeants politiques justement, apprennent à ne plus assimiler systématiquement intérêt général et intérêt financier.

(*)Thomas Piketty, économiste intéressé principalement aux questions de justice fiscale, vient de publier un livre intitulé Le capital au XXIème siècle (qui fait actuellement un grand succès aux Etats Unis) dans lequel, après avoir opéré une relecture attentive des logiques d'accumulation sur le long terme et montré notamment que l'idéal égalitaire américain avait été largement dévoyé, il donne des pistes pour éviter que les démocraties ne soient mises en danger par la concentration des pouvoirs d'argent. (retour)

(**) Jean Gadrey est notamment intéressé par une économie débarrassée de l'impératif (désormais insoutenable) de la croissance.(retour)

(***) Gael Giraud est interviewé dans le blog Oil Man par Matthieu Auzanneau sur le lien entre économie et énergie. (retour)

  14. A propos du pic de pollution du mois dernier

début avril 2014
Il a fallu que l'épisode récent de forte pollution aux particules nous gâche ouvertement les premiers soleils de printemps pour que les médias se saisissent du sujet. Même si la gratuité des transports publics est intervenue assez tôt, les autorités ont été assez lentes à réagir, le ministre de l'écologie ayant attendu le dernier moment pour oser s'en prendre à la sacro-sainte bagnole. Les commentateurs et faiseurs de micro-trottoirs se sont alors empressés de souligner les inévitables absurdités de la circulation alternée, plutôt que son efficacité, tout aussi réelle mais peu perceptible sur une journée unique. On a ici un bel exemple de plus de cet attentisme écologique dont j'avais fait le sujet de mon précédent billet.

La pollution aux particules fines est en réalité assez constante mais elle monte en flèche lorsque la météo en panne de vent l'empêche de s'évacuer. Ce problème est loin d'être nouveau. Il y a a plusieurs décennies que la couleur gris brunâtre de l'atmosphère francilienne est nettement perceptible à faible hauteur au dessus de l'horizon, pour peu qu'il fasse soleil et que la vue soit dégagée sur une grande distance. On sait aussi depuis longtemps que la forte dieselisation du parc automobile français y est pour beaucoup(*), et que les impacts sur la santé de ces microparticules, bien que diffus, n'en sont pas moins importants. On a pourtant continué à favoriser le diesel en le taxant moins que l'essence et en prétextant de sa plus faible consommation (donc de ses moindres émissions de CO2) pour lui attribuer un meilleur bonus écologique, faisant l'impasse sur les oxydes d'azote (également générateurs d'effet de serre) et les particules fines en cause dans le pic de pollution.

Cette politique a été constante, sous l'influence d'un puissant lobby du diesel (ou notre constructeur "national" PSA voisine avec les transporteurs routiers), brandissant selon les cas le chantage à l'emploi ou la menace de blocage des routes. Les récents reculs sur la fiscalité écologique montrent bien comment ces lobbys tiennent les gouvernants, peu enclins par ailleurs à bousculer les habitudes des automobilistes français qui se sont consolidées au long de quatre décennies de soutien par l'état.

Le plus surprenant est que cette domination du diesel si spécifique à la France est une conséquence de l'électricité nucléaire, une autre particularité énergétique française développée dans les années Giscard. En effet, à la suite du choc pétrolier de 1974, la France s'est tournée délibérément vers la (sur)production d'électricité nucléaire, et pour la justifier a poussé massivement à l'adoption du chauffage électrique. Cela a fait peser sur les raffineurs la perspective d'excédents ingérables de fuel domestique, qui est un co-produit incontournable du raffinage du pétrole en essence. Pour rassurer les groupes pétroliers inquiets, on leur a donc concédé une politique favorable au moteur diesel qui permettrait d'écouler sous forme de gazole cette production obligée de produits lourds. Les constructeurs français au premier rang desquels Peugeot se sont ainsi fait une spécialité du moteur diesel sur les voitures particulières, et plus tard, PSA ainsi que Renault ont influé pour que cela perdure, retardant également l'étude d'autres systèmes de motorisation (hybride essence ou électrique). Les nombreux partisans du diesel, constructeurs et usagers, ont tout fait pour conserver l'avantage fiscal du gazole sur l'essence, puis pour faire homologuer comme écologiques les (petits) moteurs diesel, effectivement moins émetteurs de CO2, mais relativement gros émetteurs d'oxydes d'azote et de particules fines. Précisons que les filtres à particules, qui sont censés rendre propres les moteurs diesel ont en usage réel un fonctionnement moins parfait que lors des tests (notamment à froid), qu'ils sont le siège de fortes émissions d'oxydes d'azote, et pire, que certains propriétaires les font discrètement enlever pour regagner de la puissance.

Le plus absurde est qu'aujourd'hui, après le succès massif de cette politique, la proportion essence - gazole issue du raffinage ne permet plus d'alimenter correctement un parc dominé à 70% par le diesel, et que la France doit importer au prix fort d'importantes quantités de gazole déjà raffiné. Les médias font aujourd'hui mine de découvrir les problèmes liées au diesel, mais ils sont connus de longue date, comme le montre fort bien l'enquête (**) qu'Elise Lucet consacrait à ce sujet sur France 2 il y a quelques mois.

Tout cela se déroule dans le contexte d'un urbanisme où les distances éclatent (voir mon billet n° 8), la voiture individuelle et les autoroutes urbaines ouvrant à l'urbanisation des zones excentrées où les moins riches  trouvent à se loger sans subir les prix immobiliers excessivement spéculatifs des centres villes. Dans la réalité, l'insuffisance des transports en commun dans ces périphéries éloignées et l'engorgement quotidien du trafic qui en résulte engendrent une forte pollution rendue encore plus nocive par la dominance du moteur diesel. Il suffit alors que la météo laisse s'accumuler les polluants pour que l'alerte doive être lancée.

Maintenant, chacun voit que cette pollution est excessive et on reconnaît le sérieux des études qui en dénoncent la nocivité.  Il faut donc en sortir, mais comment?
La reconversion ne pourra ni être rapide, ni être indolore. Il faudra au moins essayer de faire en sorte qu'elle ne soit pas trop injuste.
Contrairement à ce qui se dit parfois, les pouvoirs publics, en France, disposent de leviers efficaces dont ils peuvent user. Ces quarante ans de dieselisation du parc automobile français montrent l'efficacité du colbertisme à la française, ainsi que celle des incitations fiscales, mais il faudrait maintenant que ces aides aillent dans un sens différent.

Il faut pour cela que les responsables fassent preuve de plus de volonté, surtout pour oser agir contre les lobbys du diesel, et qu'ils développent une pédagogie capable de convaincre les citoyens d'accepter de remettre en cause de l'avantage fiscal du gazole. On peut jouer de la progressivité et de l'incitation, et utiliser intelligemment le produit d'une fiscalité réellement écologique pour aider à la reconversion du parc automobile, développer les transports en commun ou la mobilité douce. On peut aussi agir pour favoriser la diminution des déplacements grâce au covoiturage, au télétravail dans le mesure du possible, et à plus long terme à des orientations urbaines favorisant la mixité et la proximité travail-domicile.

La progressivité nécessaire pour la mise en place de ces politiques ne devrait cependant pas être confondue avec l'attentisme et la timidité généralisée qui ont prévalu jusqu'à maintenant.


(*) On dit aussi, sans doute pour faire diversion, que la combustion du bois en foyer ouvert contribue notablement à ces particules, mais ce problème est surtout rural et hivernal, alors que les pics de pollution sont majoritéirement urbains et se produisent aussi au printemps et en été. Notons aussi que les poêles ou les inserts bien conçus sont peu émetteurs de particules. (retour)

(**) Cash Investigation France 2 Elise Lucet  28/09/2013
Diesel: la dangereuse exception française
extraits visibles ici http://www.youtube.com/playlist?list=PL34uTYtIasHFNHWlPUsRcQIBq70mxcjCz
visible en entier ici (après ouverture d'un compte) http://www.dpstream.net/serie-4867
-aj.html#js4867-,-2-,-04%20[FR]
(retour)

  13. La planète peut attendre, pas les marchés

début mars 2014

Les péripéties politiques de ces derniers temps auront montré jusqu'à la caricature l'obsession première du président Hollande et de son équipe: ne pas aborder, éluder, reporter à plus tard les "questions qui fâchent". Peut-être cela n'est-il qu'une apparence, car on peut par ailleurs mesurer avec quelle constance, au nom de la dette financière, on n'hésite pas à fâcher les syndicats pour développer une politique économique largement inspirée par les milieux patronaux. En réalité, on choisit, parmi les "questions qui fâchent", celles qu'on renvoie à plus tard et celles sur lesquelles on va déployer des trésors de persuasion. Laquelle de ces questions fâche le plus? Le casse-tête de la dette financière, le problème de l'Europe (de ses structures politiques et de ses limites) , ou la question de la mutation énergétique et agricole, autrement dit de la dette écologique?

A observer le tableau des projets renvoyés à plus tard, nos dirigeants ont peur avant tout de fâcher avec les priorités écologiques, car elles s'opposent aux dogmes si bien établis de la croissance économique. Donc, à plus tard, la fiscalité écologique, la réorientation de la politique agricole commune, à plus tard une transition énergétique un tant soit peu volontaire, ou l'abandon d'un vieux projet de nouvel aéroport menaçant des zones naturelles.

La politique, est-ce gérer les priorités de façon à éviter ce qui fâche? Et si on doit se confronter aux questions difficiles et chercher à convaincre, pourquoi juger alors que la dette écologique est moins urgente et surtout moins importante que la dette financière?

Alors que la fragilité des prévisions économiques et les effets délétères de la croissance forcenée sont largement démontrés, l'ampleur de la crise environnementale ne fait plus de doute: le savoir, les constats, et les diagnostics sont là. Les causes sont en grande partie identifiées. Les messages d'alerte sur tous les tons circulent, diffusent, atteignent une partie non négligeable des consciences, mais un blocage subsiste à l'évidence:
•    L'alarme écologique tarde à se cristalliser dans un tournant politique issu du jeu démocratique,
•  Trop peu de responsables sont assez convaincus pour oser promouvoir et entreprendre des changements qui dépassent l'affichage d'une bonne conscience écologique minimale
•   On fait trop peu pour faire accepter à la société maintenant consciente les difficultés inhérentes à toute mutation d'importance: remise en cause de situations acquises, de modes de vie, progression sur certains aspects et régressions sur d'autres, nécessité collective de certains arbitrages.


Il y a encore une vingtaine d'années, ou pouvait penser que cette prise de conscience était lente et marginale parce que les idées étaient confuses. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui puisqu'on dispose de connaissances cohérentes pour décrire aussi bien bien l'histoire générale de la vie sur Terre que l'émergence des civilisations humaines et la croissance de leur impact. Ce qui fait obstacle à la prise en compte sérieuse des alarmes environnementales tient à des facteurs multiples, qu'on peut avec du recul résumer dans notre difficulté à arbitrer en faveur du long terme.

L'homme, et plus encore les sociétés humaines sont "naturellement" court-termistes: le fonctionnement politique, les paradigmes économiques, les affects humains, tout cela fonctionne sur le relativement court terme. Si des parents se soucient souvent de l'avenir de leurs enfants et petits enfants, beaucoup d'individus s'enorgueillissent de vivre au jour le jour. Un politicien pense en fonction des quelques années de son mandat, un dirigeant d'entreprise est pressé par ses actionnaires et inquiet des fluctuations des marchés boursiers. Seuls quelques rares mégalomanes rêvent de mausolées pour l'éternité, et très peu de gens osent penser ce qu'ils font et le monde dans lequel ils vivent sur des durées dépassant le siècle (ne parlons pas des millénaires ou des ères géologiques).

Le court-termisme des individus ordinaires et des structures sociales convient à la frénésie de l'économie, à l'industrie du divertissement de masse et à l'intoxication publicitaire, à l'achat impulsif ou même aux préoccupations de survie des plus pauvres. Dans le magma général des discours ambiants, le court terme finit donc par dominer, prenant le pas sur les alarmes écologiques de moyen ou de long terme, malgré leur grande crédibilité. Il y a  des personnes (pas en si grand nombre) qui acceptent de commencer un régime ou de se priver d'un plaisir pour s'éviter plus tard un cancer ou une maladie cardiaque, il y en a moins qui renonceront à certains éléments de confort au nom du bien vivre de leurs descendants ou de la santé de la biosphère.
 
Il y a aussi une petite minorité de gens qui, du fait de la richesse qu'ils ont accumulée, se pensent préservés des conséquences de la dégradation de la biosphère et croient que la question écologique ne les concerne pas. Or ce sont souvent ceux-là qui ont le plus d'influence sur les décisions collectives (élections de responsables, choix politiques, choix économiques) parce que leur bien-être actuel fait exemple, parce qu'ils détiennent, grâce à leur poids économique, un pouvoir d'influence supérieur. Les politiques faites au nom de l'économie ont ainsi remplacé les politiques faites au nom de la religion ou de la race. En principe ce devrait être un progrès moral, et dans les faits, c'est aussi devenu une myopie généralisée. Nos sociétés ne voient plus qu'à court terme, et qui plus est avec des paradigmes économiques plus que contestables (théories de la monnaie, de la valeur, des équilibres des marchés, des retombées pour tous de la richesse de quelques privilégiés, etc....)

Les messages court-termistes du divertissement, de la publicité, de la compétition économique, parfois traversés d'un engouement compassionnel éphémère, sont capables d'occuper en très grande majorité l'espace médiatique et de faire obstacle à la propagation, à l'assimilation et à la digestion des messages (scientifiques ou non) orientés vers la prise en compte de la question écologique. Ceux qui finissent par passer ce filtre sont souvent mal hiérarchisés, simplifiés à l'excès et chargés d'une émotion mal raisonnée. Il devient donc facile ensuite, au nom d'un prétendu sérieux économique, de caricaturer les défenseurs des ours, les partisans du retour à la bougie, ou les paranoïaques des petites ondes.


   12. La nature est-elle réactionnaire ?

début février 2014

Parmi les arguments échangés dans certaines controverses d'actualité on entend souvent condamner radicalement la transgression des lois de la Nature, et à l'inverse qualifier de réactionnaires ceux qui par cet argument refusent le Progrès. Des exemples récents nous sont donnés d'un côté par l'opposition des écologistes à la construction d'un aéroport ou à certaines techniques agricoles, et de l'autre côté par les débats autour de la question du genre, concept suspect pour les défenseurs de la "famille traditionnelle" de remettre en cause, et même de nier un ordre social naturel fondé sur la nature des sexes.

Le Progrès suppose-t-il de s'opposer à la Nature? L'invocation de la nature est-elle réactionnaire? De façon encore plus caricaturale, la nature serait-elle réactionnaire? Pour éviter le simplisme(*) il importe de savoir à quel propos le respect de la nature est invoqué, et si ce dont il s'agit relève vraiment de cette question.

Peut-on ainsi, du fait qu'ils se réfèrent les uns et les autres au respect de "la nature", regrouper écologistes et néopétainistes sous une même bannière réactionnaire? Certains thuriféraires du progrès technique n'ont pas manqué de le faire, soulignant ici et là des connivences apparentes ou parfois réelles entre la pensée écologiste et l'idéologie de la droite réactionnaire. Ce procédé commode a parfois servi pour disqualifier d'emblée les défenseurs de la nature critiques de l'évolution technico-économique contemporaine et les désigner comme ennemis du progrès (**).

La nature est évolutive, on le sait depuis Darwin et on a parfois eu du mal à l'accepter (***) sans pour autant que cette évolution puisse être appelée progrès. Si nous sommes souvent tentés de voir l'évolution naturelle comme un progrès, c'est que l'espèce humaine est apparue relativement tardivement et que nous sommes sujets à l'anthropocentrisme, mais pour les biologistes, les choses sont bien plus ambiguës. Le succès évolutif des vers de terre, des bactéries ou des insectes n'est pas moins intéressant que celui des hommes. Il reste cependant qu'à l'échelle des temps humains, l'extrême lenteur des processus darwiniens nous fait voir la nature comme un cadre quasi-immuable. Moins immuable est la nature aménagée ou même seulement impactée par l'homme, qui change avec les techniques d'agriculture ou de travaux publics, avec l'accumulation des pollutions ou les prélèvements de grande ampleur. C'est précisément ce qui alarme les écologistes, quand ils mesurent avec quelle puissance les techniques industrielles transforment la biosphère. En d'autres termes, l'évolution rapide du "progrès" bouscule l'évolution extrêmement lente de la nature.

Cette nature dont nous sommes encore largement tributaires est un exemple de complexité, de richesse et surtout de durabilité. Préserver dans notre propre intérêt des équilibres naturels qui peuvent parfois être sensibles devrait nous inciter à la sagesse et à la modération. C'est cette position critique face à l'évolution technique qui fait désigner comme réactionnaires les défenseurs de la nature, mais ce point de vue confond abusivement évolution technique et progrès, voire suppose que le progrès consisterait à dominer la nature (****). La véritable question est surtout de savoir comment juger les changements que nous apportons à la nature, et en particulier si le danger éventuel tient à leur ampleur, à leur rapidité ou au fait qu'ils relèvent de l'artifice.

Les choses sont réellement complexes car il n'est en toute rigueur pas possible de concevoir une nature exempte de tout artifice. Il n'est déjà pas absurde de considérer comme artifices nombre d'objets ou de modifications élaborés ou accumulés par l'activité d'animaux plus ou moins nombreux, grands ou ingénieux (nids, termitières, barrages des castors, etc...). Mais le mot artifice prend son sens plein avec l'apparition des hommes qui grâce au langage parlé, à la coopération sociale, à la maîtrise des énergies naturelles et à l'accumulation de savoirs par l'écrit, ont fortement accéléré leur évolution, tout comme celle de leur environnement. La rapidité de transmission et le foisonnement des innovations dans les cycles culturels ont conduit les sociétés humaines a avoir un impact majeur sur l'ensemble de la biosphère. Peut-on définir un stade à partir duquel cette évolution cesserait d'être naturelle pour devenir artificielle? Peut-on à l'inverse accepter comme naturel tout phénomène réel, même causé par l'homme? On voit bien que ces questions n'appellent pas de réponses simples. Pour juger du bien fondé de nos activités, la distinction entre nature et artifice n'est pas pertinente. Ce qui importe, me semble-t-il c'est de maintenir la perturbation de la nature à un niveau raisonnable, de rechercher un équilibre satisfaisant entre artifice et nature, ou même de s'intéresser à des artifices qui favoriseraient le bon fonctionnement de la nature (avec la difficulté de définir "raisonnable", "satisfaisant" ou "bon fonctionnement").

L'opposition entre progrès technique et préservation de la nature, qui est le fonds du débat écologique, nécessite de parvenir à caractériser (à peu près, avec difficultés et en laissant ouvertes des divergences d'intérêts) ce qu'est un écosystème en bonne santé, ou une biosphère vivable (*****). Mais si on aborde le problème de la nature humaine remise en cause (sinon menacée) par l'évolution des moeurs ou par les progrès de la médecine, on est dans un autre débat. La "nature de l'homme" est un concept très difficile à cerner. Chercher à en définir de façon consensuelle les invariants, incontournables ou ou intangibles est impossible. Les hommes sont façonnés au moins autant par leur biologie que par leur vie dans leur société. Ils ont évolué par la civilisation et la culture, bien plus vite que par la biologie, et ont maintenant une psychologie et des systèmes sociaux en fort décalage avec certains de leurs "fondamentaux" biologiques d'origine. A quoi s'ajoutent les effets de la médecine sur la santé, la démographie, et la transmission biologique. Toutes les controverses sur les tabous relatifs à la vie sexuelle,  sur les rôles familiaux, sur la conception et la naissance, sur la fin de vie, sur la bonne médecine, relèvent de ces décalages entre nature biologique (animale ?) et "nature" sociale des hommes, entre "sauvagerie" et "civilisation". Les questionnements sont réels et urgents, les réponses sont divergentes, les comités d'éthique réfléchissent, les arbitrages des tribunaux soulèvent les controverses, et la confrontation des civilisations par la mondialisation exacerbe encore les tensions.

Pour juger l'évolution (actuelle) de "la" civilisation à l'aune de la référence naturelle, les doctrines s'affrontent. On peut opposer ceux qui placent l'homme hors de la nature du fait d'un lien privilégié avec Dieu ou de la "supériorité" de son intelligence, et ceux qui pensent que même après avoir acquis une capacité unique d'agir sur son environnement, l'homme reste héritier pour nombre de ses comportements d'une longue évolution de primate en société. On peut opposer ceux qui, attribuant (avec raison) notre bien-être contemporain à notre domination sur la nature en déduisent que le progrès consiste à pousser plus loin ce pouvoir, à ceux qui (sans aller jusqu'à regretter le bon sauvage de Rousseau) considèrent que dans un domaine ou dans un autre, ce pouvoir est une imprudence, recèle des dangers, et que la sagesse consisterait à imposer des limites au progrès. Chacun dans ces débats est à la fois un progressiste et un réactionnaire.

Sacraliser une nature préservée de l'influence humaine est un combat perdu depuis des millénaires. Mais c'est souvent de ces courants de pensée que sont venus des questionnements aujourd'hui salutaires. Les hommes sont de fait devenus gestionnaires de la biosphère, et c'est d'eux que viendra la volonté de préserver des espaces de leur trop grande influence, et non d'un respect transcendental d'une nature où nous n'aurions pas notre place.

Ceux qui au nom du respect des lois naturelles tendent en fait à défendre un modèle conjugal proche du patriarcat en vigueur dans les sociétés agricoles, devraient si la nature était vraiment leur référence, prôner l'exemple des petits groupes de chasseurs cueilleurs, en général un peu moins inégalitaires, et bien souvent moins pudibonds et coincés sur les questions de permanence du lien conjugal, de filiation, et de moeurs sexuelles. On remarquera que pour défendre leur cause ils participent non seulement au système proposé par les états modernes, mais utilisent aussi le foisonnement internet et les réseaux sociaux pourtant responsables à leurs yeux du délitement de l'ordre social.

Défendre toute innovation technique au nom du progrès sans prendre la mesure de ses conséquences possibles, c'est n'être progressiste qu'à très court terme, puisque cet idéal n'est pas durable. C'est vouloir perpétuer un principe de progrès qui a certes fait la gloire du dix-neuvième siècle en occident, mais qui est dépassé, tant son bilan actuel est mitigé. Ce progressisme-là est aussi un conservatisme.

Accepter la sécurité donnée par la civilisation contemporaine, avec l'amélioration de la longévité, la baisse de la précarité alimentaire, la disparition de pratiques cruelles associées aux superstitions, c'est admettre qu'une certaine insoumission à la nature peut être bénéfique, et que le bon équilibre entre artifice et naturel doit être questionné, quitte à être souvent remis en cause. Faire le tri entre les multiples façons d'aménager les sites naturels, les diverses manières de détourner la productivité naturelle à notre profit, les diverses façons de s'opposer aux agressions biologiques qui menacent notre santé, suppose d'être capable de juger quand et pourquoi la référence à la nature est bonne, mais aussi quand elle est pénalisante, ou déraisonnable.

(*) Le simplisme tient en fait à l'emploi de l'article défini: LE progrès, LA nature. Si on ne précise pas ce qu'on entend par progrès, ou par nature, on tombe dans la controverse religieuse. (retour)

(**) On notera au passage que parmi les adeptes de ce progrès, certains présentent l'évolution technico-économique comme inéluctable, parce que "naturelle". C'est une remarquable incohérence d'entendre les partisans du libéralisme économique invoquer ainsi la naturalité des logiques de marché ou de progrès technique (la nature humaine étant de dominer la nature) pour refuser l'interventionnisme économique et s'opposer à des règles de respect de l'environnement. (retour)

(***)Par contre, certains n'ont pas manqué par la suite de tirer argument des logiques darwiniennes (un peu simplifiées) pour promouvoir une compétition sociale sans merci censée faire évoluer nos sociétés vers le bien. (retour)

(****) L'idée ordinaire du progrès, assimilé souvent à toute innovation (technique ou culturelle) est simpliste. Le progrès, si on tient à ce mot, devrait être jugé en termes de bien, et non selon le postulat naïf que toute nouveauté serait par principe supérieure à ce qu'elle prétend remplacer. Le progrès devient alors une notion morale difficile à cerner, à fortiori quand on s'avise que le bien-être humain est tributaire du "bon état" de la nature. Le bilan moral de l'évolution de nos civilisations est tout sauf simple, et si on veut encore que la démocratie ait un sens, il faut qu'il soit possible de faire le tri entre le meilleur et le moins bon, progresser dans le bien-être et l'émancipation tout en assumant notre responsabilité envers les générations suivantes et la bonne santé de la biosphère, et pas seulement progresser en puissance, en vitesse ou en productivité. (retour)

(*****) Des cycles naturels d'ensemble se perpétuant et évoluant de façon progressive plutôt que chaotique, des crises localisées aux répercussions modérées, une biodiversité capable d'assurer la résilience de l'ensemble en cas de crise forte. (retour)


11. Comment j'ai vu le Brésil

début janvier 2014

Le temps a passé depuis mon retour du Brésil, où j'ai passé deux mois principalement dans l'état de Sao Paulo avec une incursion touristique vers Ouro Preto dans le Minas Gerais.
Bonne occasion de réfléchir un peu au colonialisme, avec entre autres éclairages celui de Tocqueville (*), lu pendant le séjour, puis au retour le carnet d'expédition du dessinateur Hercule Florence (**)

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On peut dire que le Brésil représente la quintessence du cas colonial:

Tropical, immense, doté d'une nature très généreuse, assez peu peuplé, il a été colonisé par un petit pays de navigateurs, le Portugal, pour y développer une économie reposant sur l'exploitation forestière, la canne à sucre, les minéraux précieux, puis le café et le caoutchouc. Ne parvenant pas à asservir les populations locales, le colonisateur s'est fourni en esclaves en pratiquant la traite négrière. Au Brésil, l'indépendance et la fin de l'esclavage sont advenues assez pacifiquement (même si les grands propriétaires ont été sans scrupules pour défendre leur pouvoir en embauchant des milices pratiquant la violence armée. Malgré cette histoire relativement peu conflictuelle, et même si le racisme n'a pas été aussi  fort que dans les pays de colonisation anglaise (le métissage y est important), le Brésil reste aujourd'hui un pays extrêmement inégalitaire. Un géographe l'a même décrit comme une combinaison de Suisse, de Pakistan et de Far West.

La mondialisation de ces dernières décennies et l'entrée du Brésil dans le peloton des pays émergents ont rendu ces inégalités extrêmement voyantes. Une classe d'ultra-riches sans complexes fait modèle pour la classe moyenne montante, tandis que le petit peuple réduit à la précarité et à la débrouille, fait ce qu'il peut pour échapper à la misère, qui est loin d'avoir disparu.

La main d'oeuvre n'étant pas chère, les petits boulots fleurissent, et il est considéré comme normal (pour peu que cela soit à votre portée) de recourir à tous ces petits services qui facilitent la vie (gardiens de parking improvisés ou officiels, collecte des déchets, porteurs de colis et de messages, emplois domestiques pour la maison, pour les enfants et même pour les chiens).

Le pouvoir fédéral est lointain, les pouvoirs locaux sont souvent corrompus ou peu efficaces. L'école publique est dégradée, le développement urbain est très mal, voire pas contrôlé, les lois sociales restent embryonnaires, et on voit pulluler l'emploi précaire, l'exclusion urbaine et la débrouille. Cette situation entretient une grande défiance envers la puissance publique, et pousse à la gestion privée des fondamentaux de la société. Sociétés de sécurité, écoles et universités privées, rues et lotissements fermés, sans parler des circuits de santé ou des clubs de loisirs et de sport, assurent à ceux qui peuvent payer une qualité de vie que l'état ou la commune ne peuvent fournir. Quand on a les moyens (argent, pouvoir de nuisance, ou proximité avec les gouvernants) on peut jouer de l'influence en toutes occasions, pour obtenir des papiers par l'entremise d'un "despachante", ou pour que des intérêts personnels ou de groupe soient favorisés par un pouvoir local.

Mais lorsqu'on paye ainsi une multitude de services et de commodités, on admet mal de payer des impôts, d'autant plus qu'une part notable de cet argent public (pas toujours bien géré) est consacrée à des programmes d'aide sociale aux plus pauvres certes efficaces, mais dénoncés dans les médias comme un encouragement démagogique à la paresse. C'est ce mécontentement qui a donné de l'ampleur aux manifestations en juin dernier alors que tout avait commencé à cause du prix des transports publics.

Si les favelas (bidonvilles) semblent peu à peu évoluer vers des constructions moins précaires, elles sont rejetées de plus en plus loin des centres urbains par la logique du marché immobilier, et dans le même temps, on voit aussi se multiplier les condominios fechados (lotissements fermés) parfois de très grand luxe, à l'intérieur desquels la richesse s'étale sans complexe: parcs idylliques avec golfs et restaurants-clubs, semés de vastes villas aux annexes multiples, piscines, garages, gymnases, logements de domestiques, etc... Dans ce monde, on ne se refuse rien, d'autant que dans cet entre soi, la compétition de l'ostentation va bon train. Ce sont les opportunités de la promotion immobilière qui répartissent les classes sociales sur le terrritoire, car il y a des lotissements fermés pour toutes les couches à partir de la classe moyenne. En marge des villes et sans égard pour la cohérence de l'urbanisme se forment des poches isolées, à la sociologie homogène, et elles investissent aussi la campagne, loin des nuisances du centre qu'on rejoindra au besoin en voiture par l'autoroute proche ou même en hélicoptère. La classe supérieure en pleine expansion dispose du reste de plusieurs résidences et n'hésite pas à courir la planète entière, pour affaires, pour le tourisme ou même le shopping (il est par exemple de bon ton d'aller en Floride pour acheter des vêtements d'enfants).

Le Brésil n'en est pas encore à penser ses limites. Il lui reste des territoires à défricher, des champs de pétrole off shore à prospecter, de la viande et des agrocarburants à exporter, et ces perspectives d'avenir (***) confèrent un optimisme qui aide grandement à faire supporter bien des injustices pourtant criantes. Dans ce monde en perpétuelle mutation, chacun, même le plus pauvre pense avoir sa chance, ou à défaut voir ses enfants en bénéficier. Mais malgré une gentillesse au quotidien héritée du paternalisme colonial, la société brésilienne ne respire pas l'harmonie. Une multitude d'églises prospèrent sur la soif d'espoir, dispensant à doses variables du lien social et des services, et profitant surtout d'une fiscalité privilégiée. L'injustice et la violence guettent, trahies par les réflexes sécuritaires qui interdisent de sortir seul trop tard, de fréquenter certains quartiers, d'ouvrir les vitres de sa voiture en attendant au feu rouge.

Parallèlement à cette évolution peu avenante, on voit cependant émerger d'autres façons d'envisager l'avenir, et un certain intérêt pour des formes d'économie plus durables. Des initiatives pour sortir les pauvres de leur condition, pour favoriser la production locale de nourriture, pour redistribuer (un petit peu) les terres, se font jour, sans toutefois concurrencer l'agrobusiness surpuissant qui domine dans les campagnes. La contradiction est patente, et se traduit par deux ministères de l'agriculture séparés, l'un soutenant l'exploitation productiviste, l'autre aidant les petits producteurs familiaux.

Quelques courageux se lancent aussi dans la défense d'une biodiversité encore très riche, mais fortement menacée par le développement économique accéléré. La fierté nationale pour ce patrimoine naturel leur donne une audience, mais la récupération commerciale embrouille aussi les choses. Au Brésil (comme dans d'autres pays), on est frappé par l'absence totale de grâce (pour ne pas dire la franche laideur) de la modernité galopante, qui, à de rares exceptions près, submerge sans ménagement les beautés de la nature (****) ou les restes de l'ancienne culture coloniale baroque. Le plus souvent, on se satisfait aisément d'une esthétique commerciale superficielle, où les stéréotypes du bonheur consommatoire international se colorent d'un exotisme facile et séducteur. De tout ce fatras émergent quelques perles: morceaux de nature ayant échappé aux grands travaux ou à l'extension de la monoculture, anciennes villes baroques, architecture moderniste du milieu du XXe siècle.

En fin de compte, au delà des retrouvailles avec des amis de longue date, ce voyage aura été l'occasion de mesurer l'héritage parfois lourd du colonialisme et d'en observer les nouvelles formes (car il est loin d'avoir disparu). Il aura confirmé, bien à rebours de ceux qui résument le bonheur des peuples à leur taux de croissance, combien il faut être nuancé quant aux bienfaits de la croissance économique contemporaine.


(*) De la démocratie en Amérique. Plutôt qu'un éloge des institutions des Etats-Unis, j'y ai lu une inquiétude sur le devenir de sociétés d'entrepreneurs et de commerçants sans réelle élite culturelle ni politique, et surtout une description sans complaisance des mécanismes d'appropriation des terres par les immigrés d'Europe. Il y est dit notamment que les Indiens ne possèdent pas la terre, car ils ne font que l'occuper... (retour)

(**)Hercule Florence, jeune français épris de voyages, avait été engagé comme dessinateur dans une expédition scientifique qui par un itinéraire fluvial, partit en 1826 de Sao Paulo vers le Mato Grosso pour redescendre ensuite jusqu'à Belem par le Tapajos, un affluent de l'Amazone. Sa rencontre avec les beautés de la nature, les colons de l'intérieur et surtout avec différents groupes d'indiens est rendue encore plus vivante par ses dessins remarquables de rigueur descriptive. (retour)

(***) avenir à court terme, toutes ces "opportunités" peu durables n'offrant guère de perspective au delà de quelques décennies. (retour)

(****) Une simple exploration Google earth permet notamment de voir que les cascades qui avaient exalté Hercule Florence ont bien souvent disparu au profit d'aménagements hydroélectriques. Quant aux petites villes de l'intérieur, il n'est pas sûr qu'il les préfèrerait modernes et peuplées que perdues et pionnières. (retour)


   10. Vive le sport ?

début décembre 2013
Le journal auquel je suis abonné a cru me faire plaisir en m'offrant de recevoir gratuitement pendant un mois le quotidien le plus vendu de France. Ce quotidien, c'est L'Equipe, ce qui me donne l'occasion de dire ici tout le mal que je pense de la survalorisation actuelle du sport dans notre société. Il n'est pas ici question du sport comme pratique personnelle bienfaisante, mais du sport comme spectacle populaire, c'est-à dire de la version contemporaine des jeux du cirque de la Rome antique. C'est ce rôle de spectacle qui mène à toutes les dérives qui rendent aujourd'hui le sport si détestable: 
•   afflux d'argent issu de la publicité, via les droits de retransmission, les annonces ou les produits dérivés, détournement des images pour stimuler la consommation (et la boucle est ainsi bouclée),
•   pratiques douteuses induites par l'accumulation des intérêts (triche, dopage, achat de sportifs via les sponsorings et le mercato), malgré l'affichage en vitrine d'une morale du mérite de la discipline et de l'effort
•  image biaisée de la bonne santé par l'exhibition de corps élevés hors-sol et surentraînés
•  entretien d'une "actualité" sous tension permanente (le petit poucet parviendra-t-il à vaincre l'ogre favori?) mais en réalité totalement stéréotypée, et assortie de commentaires d'un niveau affligeant.
•  exacerbation permanente des pulsions chauvines les plus primaires, notamment dans les sports d'équipe, qui détournent ainsi le sens du collectif vers le tribalisme le plus régressif.

Cela ne serait rien si ça ne prenait pas tant de place, mais il suffit d'écouter un journal d'informations sur une radio généraliste (surtout au lendemain du week-end) pour constater l'envahissement.

Le sport est une véritable religion d'aujourd'hui, et elle est en partie mondiale (pour certains de ses évènements). On parle à juste titre de grand'messe (*), de culte, de temples, de martyrs, de dieux. Le sport a ses rituels, ses superstitions, sa mythologie, ses fétiches, ses grands prêtres, ses exégètes. Le destin des sportifs est fait de révélations, de miracles, de descentes aux enfers (pour ne pas dire de calvaires), de rédemptions et même de résurrections.

Cette religion est selon la formule de Marx un opium du peuple, largement distribué par les médias, eux-mêmes tributaires de la manne publicitaire. Elle nous raconte que le monde est compétition, que la compétition est loyale, qu'il y a des règles, un honneur, du mérite, des vainqueurs. On glorifie l'esprit d'équipe, mais les destins individuels sont valorisés, les héros sont au panthéon et les déchus rejetés aux oubliettes. Elle nous raconte un progrès, marqué par les records qui tombent (de moins en moins souvent, il faut le dire).  Comme toute religion, c'est un moyen de "tenir" les peuples, chargé d'enjeux de pouvoir (ou d'argent, ce qui revient un peu au même). On ne doit donc pas être surpris des hypocrisies, du double langage, de la tromperie qui polluent le sport spectacle. Derrière la façade de la morale du sport, se développent toutes sortes de pratiques peu morales, voire franchement immorales, qu'on fait mine de redécouvrir lorsque les scandales éclatent au grand jour.

Comme pour les religions officielles, chaque fois que le débat ressurgit, après des révélations scandaleuses ou après une injustice flagrante, les pompiers accourent au secours de l'institution, et déploient des trésors de jésuitisme pour ne pas casser la machine à rêver, ne pas "jeter le bébé avec l'eau du bain", (même si on proclame haut et fort la nécessité de nettoyer les écuries d'Augias), et remettre à plus tard une remise en cause de plus en plus urgente.

Si les totalitarismes n'ont pas manqué d'utiliser le sport pour l'embrigadement des masses et la fabrication de l'homme nouveau, n 'oublions pas que la morale propagée par le sport, essentiellement fondée sur la compétition (loyale ?) et le dépassement de soi sert remarquablement bien l'enrôlement des populations dans la compétition économique capitaliste. Il n'est pas fortuit que les grandes équipes de football aient été pour la plupart associées aux agglomérations industrielles, et on ne doit pas s'étonner que les sports les plus populaires soient ceux qui mettent en lumière des ascensions sociales: football, cyclisme et boxe notamment.

Déjà dans les années 1920, George Orwell s'inquiétait de la contamination du sport par les nationalismes et dénonçait une pratique qui "n'a rien à voir avec le fair-play", et qui "déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence". Il ajoutait: "le sport, c'est la guerre, les fusils en moins".
Peu à peu, les mécènes paternalistes d'autrefois ou les écuries nationales cèdent la place à des investisseurs aux dents longues, capables de tout acheter, talents, vertus, honnêteté, dont le but essentiel est de captiver les foules devant les écrans et d'engranger les recettes.

Aujourd'hui, le sport fait plus que jamais modèle, il suffit pour s'en convaincre de remarquer les nombreuses références sportives dans la langue des gestionnaires, d'évoquer les supposés mérites de la "diplomatie du sport", ou d'observer avec quelle candeur les patrons excusent leurs revenus indécents en les comparant à ceux des joueurs de foot ou de tennis. Il suffit aussi de voir comment tout personnage officiel se doit de montrer qu'il partage avec tous l'intérêt voire l'enthousiasme pour les tribulations des stars du sport.

Face à cette saturation qui est loin d'être fortuite et innocente, on se prend à regretter Churchill, qui à 80 ans, dans une citation (contestée) osait afficher son mépris en expliquant sa longévité par le whisky, les cigares et "no sport".


(*) Par un retournement singulier, la célébration de Nelson Mandela, qui aurait dû être une véritable grand-messe internationale, a eu lieu au son des vuvuzelas dans le "Soccer Stadium" de Johannesburg (et il en a été de même de grands rassemblements à l'occasion des voyages du pape).  (retour)

9. En avant, fuyons !

fin octobre 2013
Après quelques temps de pause, marqués notamment par un voyage de deux mois au Brésil sur lequel je reviendrai dans un prochain billet, je me remets à mon clavier.

Sur le site de Bastamag (une lecture à recommander) je suis tombé sur un article (*) faisant le point sur la géo-ingénierie.

Sous ce terme, on désigne des techniques plus ou moins hypothétiques cherchant à produire une modification (dans ce cas supposée favorable) du climat. Pour répondre au problème climatique engendré par les gaz à effet de serre d'origine humaine (seule "géo-ingénierie" effective, involontaire et inquiétante), ces techniques nous suggèrent donc d'intervenir à grande échelle sur certains facteurs, par exemple en capturant du gaz carbonique pour un stockage à long terme (sans fuites ?), ou en dispersant massivement dans l'atmosphère de produits destinés à réduire l'absorption des rayons solaires, ou encore en déversant du fer dans l'océan et stimuler ainsi l'activité du phytoplancton censé alors absorber plus de CO2.

On peut mesurer la complexité du fonctionnement du système climatique au temps qu'il a fallu au monde scientifique pour établir la réalité du phénomène, pour arbitrer les multiples controverses, et pour se convaincre de la nécessité d'alerter l'humanité sur les conséquences hélas probables de nos rejets massifs dans l'atmosphère. Depuis que cette question est devenue un enjeu majeur, notre compréhension dans ces domaines a fait de grands progrès, mais elle est encore très loin d'autoriser le risque d'un pari aussi fou que ceux que nous proposent ces "géo-ingénieurs" (un terme qui trahit bien à quel niveau de mégalomanie ils se situent).

Ces docteurs Folamour qui proposent de traiter la question climatique par des solutions si extraordinairement imprudentes ont généralement des voisinages d'intérêt, voire des connivences avérées, avec les partisans du "business as usual", ceux-là mêmes qui se refusent à admettre que la solution la plus sage (même si elle n'est pas la plus simple à penser) consiste à convaincre la civilisation moderne de revenir à une certaine sobriété et de se réorienter vers les énergies décarbonées et renouvelables, et à l'y aider. Ce sont plus ou moins les mêmes qui cherchent obstinément à généraliser l'exploitation des gaz de schiste en exerçant à tous les niveaux un lobbying forcené, qui trouve des échos complaisants et répétés dans une presse peu ouverte aux enjeux de long terme (**).

Tandis que les négationnistes du changement climatique veulent freiner une prise de conscience salutaire, les partisans de cette géo-ingénierie tentent d'attirer les décideurs et l'humanité dans une fuite en avant aveugle aux leçons environnementales de deux siècles d'industrie et d'escalade de puissance. Ils les incitent à prendre des risques totalement irresponsables, aussi bien par l'échelle d'intervention démesurée que par l'extrême complexité de réaction du système climatique.

Redisons-le encore une fois, le problème climatique nous oblige, si nous voulons rester dans les limites d'une dérive encore relativement prévisible, à laisser volontairement dormir dans les sous-sols la majeure partie des réserves de charbon, de pétrole ou de gaz restantes, sans compter sur leur épuisement (ou même seulement leur raréfaction) pour nous forcer à la conversion écologique.


(*) http://www.bastamag.net/article3404.html    (retour)

(**) Au passage, on peut souligner que cette insistance pour exploitater les gaz de schiste en Europe ou ailleurs doit beaucoup au retournement prématuré de la conjoncture aux Etats Unis, qui oblige les foreurs à chercher d'autres terrains d'action.  Il apparaît de plus en plus que le boom des gaz de schiste a tout d'une bulle spéculative court-termiste. (voir les articles de Genviève Azam dans Politis n° 1274, ou de Mathieu Auzanneau sur son blog du Monde.fr).  (retour)

http://petrole.blog.lemonde.fr/2013/10/01/gaz-de-schiste-premiers-declins-aux-etats-unis/
http://findupetrole.canalblog.com/archives/2013/04/18/26952214.html

   8. Extension du domaine de la ville

mi-juin 2013

Un peu partout se joue un combat aujourd'hui assez inégal, celui de la ville contre la campagne. Le projet d'aéroport à Notre Dame des Landes près de Nantes est un exemple emblématique. Il suffit d'observer  comment s'est transformé le territoire au voisinage des aéroports plus anciens, initialement installés (pour cause de  nuisances) dans des espaces encore non urbanisés pour comprendre que l'aéroport est aussi un pionnier de la conquête des campagnes par les villes. L'aéroport suscite des activités annexes (services, commerces, logistique, etc...) et donc des emplois, il est relié par des transports à la ville qu'il dessert et malgré les distances imposées par le bruit et la sécurité, l'urbanisation fait pression pour exploiter à sa façon ces terrains peu chers, opportunément situés sur les circuits économiques. La pompe est amorcée et le reste suit, rendant la ville encore plus étendue et tentaculaire.

Un autre combat emblématique a lieu au sud de Paris, sur le plateau de Saclay, dont la fonction agricole est menacée par des projets d'extension du pôle scientifique associés au passage d'un nouveau métro. Mais de façon plus ordinaire un peu partout, à une distance calculée des villes moyennes, ou près des points névralgiques du réseau autoroutier, des lotissements se greffent aux petits villages ruraux qui deviennent peu à peu des territoires de grande banlieue. La ville repeuple la campagne vidée par les transformations de l'agriculture, et assez rapidement, aux lotissements en plein champ succèdent les implantations d'artisanat ou de petite industrie, les zones d'activités, centres commerciaux de divers types, ou parc de loisirs.

Alors que l'économie agricole, limitée par la productivité naturelle du territoire, est en perte de vitesse, les villes, lieux de pouvoir et surtout d'une richesse économique gonflée par l'ingénierie financière, se peuplent de plus en plus (*). Le commerce de grande distribution permet de les nourrir sans dépendre de la campagne environnante. Peu à peu, faute de pouvoir tirer assez de revenus de l'agriculture, le territoire rural offre donc d'autres services aux urbains: tourisme, détente, mais aussi et plus généralement espace abondant et peu cher. Ce phénomène de "rurbanité" (selon un vocable forgé par certains spécialistes) se généralise, ce dont témoigne par exemple un photographe comme Raymond Depardon ou les cinéastes Kervern et Delépine. De façon plus méthodique, on voit sur les cartes se dessiner la déshérence de nombreuses petites bourgades et la constitution de grandes auréoles autour des villes moyennes. Le récent livre "Le mystère français" d'Hervé Le Bras et Emmanuel Todd est à ce sujet assez démonstratif.

On peut voir dans ces nouvelles formes de relations ville campagne une perspective heureuse, et taxer de passéistes ceux qui déplorent les paysages gâchés par l'architecture stéréotypée des lotissements, des hangars ou des enseignes franchisées (sans même parler des divers aménagements routiers qui leur sont immanquablement associés). Mais on peut aussi voir que maintenant qu'ils sont automobilistes, les dominés économiques, employés et artisans notamment, sont rejetés de plus en plus loin de la ville, et qu'ils ne peuvent accéder au confort qu'ils désirent qu'au prix d'un gros budget carburant et dans le huis clos familial et télévisuel qui résulte de cet urbanisme. Les sociologues et politologues qui scrutent la montée des extrêmes montrent bien comment rurbanité et malaise social se correspondent en grande partie. Les territoires de socialisation structurés autour de l'école, du commerce quotidien, ou du voisinage ont éclaté avec la remise en question des distances par la voiture pour tous ou par les télécommunications faciles.

A-t-on seulement la moindre idée de la remise en cause que subiront ces territoires sous l'effet d'une pénurie drastique de carburant? Seront-ils des lieux de crise et de révolte, ou au contraire, verront-ils émerger de nouvelles formes d'alliance entre ville et campagne. Il y aura probablement des deux, mais comment faire dominer l'éventualité la plus heureuse ?

(*) Le développement démographique des villes est général à l'échelle mondiale, et s'il correspond à une certaine vision de la prospérité économique, il est aussi source de déséquilibres et de difficultés: misère sociale des bidonvilles, nécessité d'une agriculture à très faible main d'oeuvre, donc dépensière en énergie et en intrants, dépendance des villes du commerce à grande distance pour leur approvisionnement, débauche énergétique des grandes métropoles, etc...  (retour)


7. Idéologie, réalisme  (une fois de plus)

mi-mai  2013

Dans la chronique scientifique de Libération du mardi 14 mai, Sylvestre Huet rapportait que l'observatoire de Mauna Loa à Hawaï  vient d'enregistrer que la teneur en CO2 de l'atmosphère venait d'atteindre le seuil symbolique de 400 ppm (*). La teneur atmosphérique en CO2 est un facteur bien identifié du changement climatique, dont l'augmentation est due en grande partie aux activités industrielles recourant au carbone fossile, et à la suite des sommets de Rio et Kyoto, des engagements avaient été pris pour en ralentir la croissance, et même l'inverser dans les décennies qui viennent. Le seuil franchi aujourd'hui correspond à une augmentation de 25% dans les cinquante dernières années, ou encore de 7% depuis dix ans  ce qui est un nouvel indice du peu de poids actuel de la question climatique face aux logiques économiques qui gouvernent le monde.  Cet enjeu majeur est au coeur de l'opposition incontournable entre écologie et croissance économique.
A l'évidence, pour de nombreux gestionnaires et commentateurs, la "science économique" semble plus ancrée dans la réalité que la physique de la biosphère, puisqu'il leur paraît irréaliste d'accorder à la dette écologique une priorité sur la dette financière. Pour eux, dans ces temps de crise financière,  ceux qui persistent à demander que la politique n'oublie pas les avertissements du GIEC et les prenne en compte sérieusement seraient les adeptes ou les victimes d'une idéologie "réchauffiste" hostile au Progrès.

La climatologie serait donc une idéologie et l'économisme un réalisme ? De quel côté se situe l'idéologie?

Ces supposés "idéologues réchauffistes" argumentent à partir d'une connaissance scientifique fondée sur une physique solidement établie, sur des observations multiples et concordantes et sur des simulations prospectives relativement convergentes, et on notera qu'ils n'ont commencé à intervenir dans le débat public qu'après un temps assez long de doute méthodique, lorsque leurs conjectures sont peu à peu devenues des certitudes. Est-on dans l'idéologie? C'est pourtant ce qu'affirment (entre autres) certains commentaires des articles Terre-Climat-Environnement du blog de Sylvestre Huet, qui il est vrai n'a pas hésité à dénoncer publiquement et avec force arguments l'imposture de climatosceptiques trop médiatiques.

A l'opposé, dans la majorité des milieux économiques, on prône la croissance par la compétition, l'exploitation du gaz de schiste (**), et de façon plus générale l'urgence d'un attentisme prudent en matière de conversion écologique. Cette attitude s'appuie sur des "vérités économiques" dont une partie a certes été confirmée par des faits observés  (en général sur des périodes limitées), et dont une autre partie a largement été infirmée: l'histoire de l'économie est riche en paradoxes et en crises non prévues ou mal expliquées. Cette "science" dont la branche dominante consacre beaucoup d'efforts à défendre le système capitaliste contre les critiques sociales, environnementales ou morales, affirme avoir pour objet principal l'étude supposée neutre des flux de valeur. Or la définition même de valeur économique est en réalité problématique, car pour rendre possible le raisonnement (sous forme principalement mathématique) on doit adopter des hypothèses qui ignorent, déforment et même contredisent la réalité anthropologique. Ajoutons que la monnaie qui permet d'exprimer la valeur n'est au fond qu'une convention sociale destinée à faciliter des échanges (ce que traduit bien le terme de fiduciaire qu'on lui applique). La "réalité" de la valeur monétaire est donc bien fragile. Les folies financières qui agitent le monde montrent à l'envi le décalage abyssal qui s'est creusé entre l'économie financière dominante et l'économie réelle (***). N'y aurait-il donc pas une idéologie dissimulée derrière cette économie dont le statut de science peut légitimement être contesté, mais qui n'hésite pas à énoncer des lois universelles ? Si on regarde où et pour qui on enseigne l'économie, et même s'il existe d'autres écoles de pensée largement minoritaires, on ne peut qu'être conforté dans cette idée.

Pourquoi faudrait-il alors accorder plus de crédit aux courbes économiques qui servent d'arguments dans bien des débats qu'aux courbes géophysiques publiées par les climatologues? Où doit-on prendre la température de la planète? A Wall-Street ou à Mauna Loa? Les courbes économiques traduisent au mieux quelques siècles d'activité humaines et dévoilent des causalités souvent douteuses, les courbes des climatologues courent sur plusieurs millénaires et ont maintenant acquis une assez bonne cohérence avec les modèles explicatifs. Le réalisme aujourd'hui ne consiste-t-il pas à être quelque peu éconosceptique?

(*) ppm = parties par million. Le site de cet observatoire sur un sommet isolé au milieu du Pacifique  a été précisément choisi pour son éloignenemnt des influences industrielles. On y relève la teneur en CO2 de l'atmosphère depuis 1957  (retour)
(**) Voir les récentes interventions publiques de Laurence Parisot, patronne du MEDEF   (retour)
(***) la seule distinction entre économie financière et économie réelle est en soi un sujet crucial d'interrogation     (retour)

  6. Mensonges, morale, argent

mi-avril  2013

Le mensonge sous des formes multiples et la volonté de moraliser les pratiques ou les institutions ont beaucoup occupé l'espace public ces derniers temps.

Rapprocher ici l'affaire Cahuzac, le cheval dans les lasagnes, les prothèses mammaires frelatées ou les prêts toxiques peut sembler hasardeux, mais dans ces quatre cas, je vois un moteur commun, en l'occurrence l'appétit d'argent.

Sans même parler des trafics illicites (drogues ou armes), du financement des partis politiques ou de l'influence des patrons d'industrie dans les médias, de nombreux autres exemples  démontrent le pouvoir corrupteur de l'argent: rappelons-nous les "réfutations" sur la nocivité du tabac, de l'amiante ou du médiator, le soutien des lobbys du pétrole au climatoscepticisme, le triple A attribué par les agences de notation à certains titres spéculatifs (Enron, Madoff, ...) jusqu'à la veille de leur faillite, etc.  Le mensonge peut être caractérisé, mais le plus souvent, il prend la forme d'oublis opportuns (mensonges par omission), de désinformation, de communication au vocabulaire ambigu calibré habilement pour ne pas donner prise à la justice. Ce travail du mensonge est même un business reconnu, à commencer par la publicité omniprésente, dont les messages sont en forte proportion mensongers, mais aussi l'activité des communicants et des lobbyistes divers.

D'habitude, on fait mine de ne pas être dupes,  on sait qu'il ne faut pas croire à la pub, on refuse de se laisser endormir par la langue de bois, on reste sceptique devant les protestations de bonne foi des margoulins, et on s'accommode avec plus ou moins de tolérance de cette pollution mentale. Mais cette fois ci avec l'affaire Cahuzac, le mensonge est  frontal (les yeux dans les yeux) et de plus solennel, c'est pourquoi logiquement, il mobilise les commentateurs, suscite l'indignation et déclenche en retour les aspirations moralisantes.

Le pouvoir sommé de réagir parle de susciter un "choc" de moralisation, ou comme on dit un "sursaut moral", au risque de donner prise au dénigrement que notre époque plus ou moins libertaire ou cynique a élaboré pour disqualifier les tenants d'un ordre moral réactionnaire.

Sans récuser l'effet d'affichage des opérations transparence ou traçabilité, qui traitent le fait lui même mais non ses causes, il faudrait surtout neutraliser le principal facteur de corruption et s'attaquer sérieusement à la toute puissance de l'argent, qui comme chacun sait, n'a ni odeur, ni morale. En effet comme l'explique très clairement André Comte Sponville (*), le capitalisme a pour but central le profit et n'a que faire de la morale, ce qui permet de comprendre pourquoi il ne cesse de recourir à toutes sortes d'expédients pour contourner la loi, surexploiter l'homme et la nature, et aussi tromper le gogo. En appeler à la morale du capitalisme est donc naïf et illusoire (ce qui veut dire qu'il est nécessaire de l'encadrer, au nom du droit et surtout de la morale) . D'autres auteurs ont une présentation assez voisine, montrant que la "morale" capitaliste est construite sur le postulat cynique d'un égoïsme universel dont les méfaits peuvent être évités grâce à l'alchimie merveilleuse du marché qui transmuterait les égoïsmes multiples en bien commun, et cela d'autant mieux qu'il serait laissé libre. La doctrine libérale compte en principe sur les contre-pouvoirs (opinion, presse, justice, etc...) pour tempérer les "dérives", mais justement, beaucoup a été fait ces dernires décennies pour déséquilibrer le rapport de force en faveur des puissances d'argent. L'opinion est manipulée par la communication, la presse est tenue sous tutelle financière, et la justice est instrumentalisée par toutes sortes de conseillers juridiques.

A l'évidence, l'argent qui au départ était une commodité dans les échanges est devenu, par son universalité et son internationalisation, le facteur premier du pouvoir. Le développement récent et spectaculaire de l'ingénierie financière a poussé cette logique à son paroxysme. Remettre le monde de l'argent à sa place, faire la chasse aux "mécénats" intéressés, aux conflits d'intérêt, refuser la "gratuité" financée par la publicité, cesser de confier des services publics aux logiques d'intérêts privés, limiter l'espace et les dépenses consacrés à la "communication" commerciale, prélever des taxes pour donner de vrais moyens et une indépendance aux organismes de contrôle, il y a là un vaste chantier d'assainissement de nos démocraties qui d'une concession à l'autre, ont fini par ressembler dangereusement à des oligarchies.

En France, l'opinion sur les riches évolue, on sent qu'une certaine fascination fait de plus en plus place au soupçon, au ressentiment, voire à de la franche hostilité. En même temps, dans les débats, le discours anti-riches, primaire ou argumenté, se confronte aux partisans du statu quo qui par l'amalgame des véritables ultra-riches avec la classe aisée au sens large entretiennent la confusion entre accumulation cupide et épargne vertueuse. Il est intéressant à ce sujet d'observer les commentaires sceptiques ou narquois qui ont accueilli la publication des patrimoines des ministres.

Evidemment, remettre la finance et l'argent à leur place et couper certains liens d'influence malsains, ça coûtera quelques emplois de traders, de conseillers en communication ou d'avocats d'affaires, mais comme on dit dans la langue libérale, ce sont des destructions créatrices. Et surtout (et c'est là le principal) il se trouve par une opportune coïncidence que la folie financière et la course au profit qui sont jutemement au premier rang des causes (**) dans les grands problèmes mondiaux que sont la crise économique et surtout la crise écologique. Pire, l'influence démesurée des milieux d'argent (***) joue un rôle majeur dans la non résolution de ces crises.



(*) Le Capitalisme est-il moral? dans ce livre, il énonce notamment que le faisable, le légal et le moral (ainsi que l'éthique) relèvent de trois (quatre) ordres différents, hiérarchisés, qu'il convient de ne pas confondre ni inverser, faute de quoi on verse dans l'angélisme ou la tyrannie. (retour au texte)
(**) voir notamment les livres d'Hervé Kempf. (retour au texte)
(***) A titre d'exemple, on peut comparer la place donnée dans les médias aux questions économiques et aux questions d'environnement: dans un exemplaire du Monde pris au hasard, sur 28 pages, une demie page "planète", deux à quatre pages "économie" et environ trois pages de publicité. (retour au texte)

5. Transition énergétique

fin mars  2013
A relativement bas bruit se déroule en ce moment le débat sur la transition énergétique.

De temps à autre, les médias nous gratifient d'une émission débat, ou les bulletins d'informations rendent compte (rapidement) de manifestations en mémoire de la catastrophe de Fukushima. Mais alors que le problème principal est celui du carbone fossile dont l'emploi n'est pas soutenable, ce débat est polarisé en France autour de la question du nucléaire, généralement opposé de façon simpliste à l'éolien.

Cette spécificité française tient évidemment au fait que, contrairement à tous les autres pays du monde, nous produisons les trois quarts de notre électricité par le nucléaire, technologie clivante entre toutes, mais qui ne concerne que la production électrique. L'opposition récurrente entre écologistes et nucléocrates fait oublier le principal.

Ce principal, c'est que comme les autres pays développés, nous vivons dans un gaspillage énergétique permanent, autorisé jusque là par l'approvisionnement facile en pétrole pas cher, consubstantiel à notre civilisation contemporaine ignorante de la géographie et des contraintes environnementales. Le moteur de cette civilisation, c'est l'appât du gain, dont la quintessence est l'économie financiarisée: cette phynansphère colonise en quelque sorte les pays et les peuples et les met en concurrence au service d'un système marchand qui abuse des transports et fait main basse les ressources naturelles. Dans son action, la phynansphère est relayée par des dirigeants complaisants ou contraints, nommés selon un cérémonial démocratique qui entretient l'illusion de leur pouvoir.
Le pouvoir en réalité, il est dans les couloirs des assemblées et les antichambres de ministères, dans les officines qui organisent colloques et dîners, dans les associations d'anciens élèves de grandes écoles où se côtoient les décideurs de tout poil, menant une vie hors sol, dans l'entre soi, loin des réalités concrètes et quotidiennes qui font la vie du commun des mortels.
Bien ou mal intentionnés, tous ces politiciens, gens de média, économistes ou managers n'ont de la crise qui vient qu'une vue biaisée par les intérêts de pouvoir ou d'argent, que des échos étouffés par le capiton des portes, et n'agissent qu'avec la perspective principale du maintien à court terme de la logique qui leur a si bien réussi.

Pour tous ceux là, se saisir sérieusement de la question énergétique, ce serait remettre en cause trop d'acquis, trop de certitudes, et il leur est bien plus facile d'en rester aux schémas simples et de faire distiller dans les médias une petite musique rassurante sur l'exception française en matière nucléaire, ou de lorgner sur l'hypothétique eldorado des gaz de schiste.

A l'opposé de ces attitudes d'éviction, réfléchir sérieusement à la transition énergétique, c'est prendre connaissance du scénario négaWatt, un modèle du genre, bien informé, rationnel et voyant loin. C'est aussi regarder comment d'autres pays s'y engagent, notamment dans le nord de l'Europe. C'est voir la progression des énergies renouvelables non seulement en Europe, mais ailleurs dans le monde, au premier rang desquelles la biomasse sous de multiples formes, pour laquelle d'énormes progrès sont à attendre.   Moins high tech que l'éolien ou le photovoltaïque, c'est ce qui est le plus aisément substituable au carbone fossile sous toutes ses formes, et des solutions existent pour faire un usage intelligent et économe de toutes sortes de possibilités, sans avoir à épuiser les terres agricoles nourricières ou à détruire des forêts précieuses pour la vie qu'elles abritent.


4. Du temps pour lire, du temps pour penser

mi-février  2013
Avec tout ce qui occupe les média ces temps-ci, j'ai trop hésité sur le bon sujet.
J'ai mis de côté d'emblée le mariage pour tous ou la démission du pape. L'affaire des lasagnes au cheval typique à tous ponts de vue des dérives de notre système alimentaire était une bonne option.  La non-médiatisation de l'ouverture du débat sur la transition énergétique méritait aussi qu'on s'y arrête.
Mais j'avais parlé la dernière fois d'un billet plus positif, et aussi du dernier livre d'Hervé Kempf.
Voilà pourquoi j'aimerais aujourd'hui recommander trois bons livres parmi ceux que j'ai lus ces derniers temps.

Hervé Kempf, journaliste environnement au journal Le Monde n'en est pas à son premier livre. Avec Fin de l'occident, naissance du monde, il fait une synthèse efficace de ses réflexions sur la marche du monde et démontre bien comment les deux derniers siècles doivent êtres vus comme une parenthèse qui se referme. Le modèle "occidental" fondé sur le colonialisme et l'énergie fossile ne pourra pas être prolongé dans notre monde fini, et de nouvelles voies devront émerger pour l'évolution du monde. Un bonne lecture pas trop longue pour ceux qui auraient encore des doutes.
Marc Dufumier est agronome spécialiste en agriculture comparée. Famine au Sud, malbouffe au Nord est une démonstration sans faille du bilan catastrophique des politiques agricoles suivies au Nord comme au Sud sous l'impulsion des marchés mondialisés et des grandes institutions comme la Banque Mondiale ou le FMI. Le simplisme de l'agronomie productiviste se heurte à la complexité des enjeux agricoles, tant écologiques qu'humains. La solution à la faim n'est pas à chercher dans des produits miracles, mais dans une revalorisation des agricultures nourricières locales, qu'il faut protéger de la concurrence des marchés internationaux et améliorer dans le respect de leur adéquation aux contextes écologiques et humains.
Dans un tout autre esprit, je viens de lire Le successeur de pierre,  un roman d'anticipation passionnant de Jean-Michel Truong (sorti en 1999 et où l'on voit entre autres la Curie de Rome intriguer pour amener à la démission du pape). Décrivant un monde où les contacts réels ont été proscrits, suite à la "grande peste" des années 2020, c'est une réflexion sur la société virtuelle du monde d'internet, sur les potentialités ambiguës de l'intelligence artificielle, et bien d'autre choses encore, comme notamment ces incursions vers une métaphysique de Teilhard de Chardin réactualisée. Même si l'histoire depuis 1999 a parfois suivi un cours différent, et même si on y relève des invraisemblances et quelques chevilles nécessitées par la forme romanesque, c'est un livre riche et prenant, à mon sens meilleur que le Globalia de Jean-Christophe Rufin qui lui ressemble par certains côtés.

Souvent, en refermant ces livres, je suis rassuré de voir qu'il ne manque heureusement pas de gens clairvoyants et convaincants, mais constatant à quel point ces idées peinent à se concrétiser, je suppose qu'ils n'arrivent que très rarement sur la table de ceux qui tiennent les commandes de notre monde. En réalité, à partir d'un certain niveau dans la hiérarchie, on n'a plus guère de temps pour lire ou pour penser vraiment, sauf sur des questions immédiates (urgences du jour, intrigues de pouvoir, etc...). Pour rester stratèges et réactifs, les gens de pouvoir remplissent donc leur tête avec des dossiers, des rappports, des résumés, des communiqués, et ils n'ont apparemment plus le temps de réfléchir.  Quand on voit par ailleurs le temps qui est perdu dans de la mise en scène médiatique, ou dans des débats biaisés (combien d'heures d'obstruction parlementaire ?), on se dit que ce temps pourrait être plus fructueusement consacré à des séminaires de réflexion de fond, ainsi qu'à de vraies bonnes lectures. Peut-être pour cela leur faudrait-il moins remplir leurs agendas et s'adjoindre des conseillers à qui on demanderait autre chose que rédiger des rapports, des discours ou des antisèches ?


(*) Jean-Michel Truong a aussi écrit Eternity Express, un roman (pessimiste) sur l'utilitarisme et l'évolution démographique des sociétés modernes. (retour)

  3. Prophéties, pronostics, prospectives

mi-janvier  2013
Le 22 décembre dernier, le monde des commentateurs nous rassurait: la fin du monde n'avait pas eu lieu, nous pourrions fêter dignement l'approche de 2013 qui serait l'année de la renaissance, du retour à la croissance et de l'oubli de la crise, et nous n'avions plus à nos inquiéter de tous ces prophètes de malheur. A ce propos, il m'a semblé bien souvent qu'on tendait à mettre un peu dans la même catégorie catastrophiste, voire millénariste, les illuminés new-age dont on avait déniché quelques spécimens près de Bugarach et ceux qui étaient porteurs d'inquiétudes sérieuses. Le retentissement médiatique de cette farce du 21 décembre 2012 est ainsi devenu l'occasion de ridiculiser par ricochet ceux qui annoncent d'autres formes de "fin du monde", comme ces écolos décroissants construisant des cabanes dans la boue de Notre Dame des Landes, et pourquoi pas puisqu'on y est, comme ces climatologues "réchauffistes" ou ces économistes atterrés qui ternissent la sacro-sainte confiance indispensable à la poursuite du "business as usual".

Et pourtant...  2013 démarre sous les auspices du conflit au Mali où l'on apprend entre autres que les terroristes sont mieux équipés qu'on ne l'avait dit, en véhicules et en armes. Il se dit que leurs armes viennent par des circuits occultes de l'arsenal accumulé autrefois par Khadafi (grâce au pétrole). Un journal Tunisien souligne (pour pointer le double jeu des occidentaux) que les Katibas du Sahel prospèrent grâce au soutien (indirect ?) des monarchies pétrolières. Et du reste le conflit se répercute en Algérie, dans une base gazière, où se trouvent entre autres des Britanniques, des Japonais, des Allemands et des Norvégiens.

Ailleurs, on note des niveaux de pollution sans précédent sur les grandes villes chinoises à cause du boom de l'automobile, boom dont profitent assez inégalement nos constructeurs pas assez experts ni en voitures de luxe, ni en voitures low cost (un symptôme parmi d'autres du creusement des inégalités par la mondialisation économique). Ailleurs encore, au mépris de toute géographie, mais après tout, la mondialisation c'est çà aussi, le Paris-Dakar si justement stigmatisé par la chanson de Renaud (*) démarre de Lima pour rejoindre Santiago du Chili. Dommage qu'ils ne soient plus en Afrique du Nord, ils seraient aujourd'hui en plein milieu de la salade saharienne ! Et encore ailleurs, on écarquille les yeux d'incompréhension quand on voit, après le énième massacre par un fou lourdement armé, l'envahissement des USA par la paranoïa et la folie des armes. Le lobby des fabricants et marchands d'armes a tout pour continuer à se réjouir.

Chez nous alors que le SAMU social est débordé face au grand froid, on s'inquiète encore plus de la fuite des riches, avec débats enflammés et rebondissements, mais on se console avec la prospérité du secteur du luxe, où la France figure en bonne place. La banque elle aussi semble aller bien (profits record de JP Morgan comme de Goldmann Sachs), ayant réussi à écarter un sévère reformatage grâce à son influence en haut lieu, en attendant le prochain rebondissement de la crise, car celle-ci court toujours. On prie toujours pour que la Sainte Croissance verse sur nous sa pluie d'or bénéfique, sans vouloir voir qu'elle bute sur des limites inéluctables, et qu'il serait plus sage de penser à une économie sans croissance (**).

Ces quelques considérations montrent que la sagesse ne se porte pas trop bien au niveau mondial, et les succès de librairie qu'elle occasionne ici et là au moment des fêtes sont une bien maigre lueur face aux orages qui s'accumulent.

Folie économique avérée, mais toujours opérante, aveuglement volontaire face aux limites planétaires, abêtissement par des médias sous perfusion publicitaire, incurie politique largement entretenue par nos dealers pétroliers ou les marchands d'armes, tout cela ne nous dit pas comment la sagesse va pouvoir reprendre le contrôle des événements. Ces soubresauts, ces impasses, ces alarmes, n'est-ce pas aussi la fin d'un certain monde ? et cette fin (***) n'est-elle pas au fond souhaitable ?

Restons (hélas) lucides, et pour l'optimisme, réfugions nous dans d'autres bonheurs, il en reste pas mal heureusement.

Et donc, BONNE ANNÉE 2013 !
(et pour être cohérent, je vais essayer de trouver pour le prochain billet un thème plus franchement positif)


(*)"cinq cents connards sur la ligne de départ, etc....  (retour)
(**) pour l'économie orthodoxe, ce que je viens d'écrire est une ineptie, je le sais mais je le revendique, persuadé que si une biologie peut être prospère et riche sur une planète finie pendant des millions d'années, il n'y a pas de raison pour que l'activité humaine ne puisse se concevoir en équilibre avec son environnement pour encore quelques millénaires.  (retour)
(***) à ce propos, il semble que le dernier livre d'Hervé Kempf, "Fin de l'Occident, naissance du Monde"  soit une réflexion appropriée. Il fait partie de mon programme de prochaines lectures.  (retour)

  2. Quand le futur est bouché, il ne faut pas mépriser le passé

début décembre 2012

Il y a dix ans qu'est mort Ivan Illich, et un petit colloque s'est tenu à cette occasion à Paris. En assistant à une des conférences (dont le sujet était l'alimentation),  j'ai pu voir combien l'oppostition que fait Illich entre la modernité et le vernaculaire est pertinente pour la plupart des domaines de la civilisation. Pour faire simple, on dira que la modernité est tendue vers l'innovation technique et s'appuie sur la rationalité technocratique, et que sa puissance actuelle tient beaucoup à ce qu'elle est dopée par la mondialisation industrielle et surtout commerçante. Préexistant à cette modernité, le vernaculaire est l'héritier de l'évolution généralement lente des cultures ancrées dans leur géographie (*). Moins efficientes en apparence sur le court terme, mais plus sages et plus durables, entachées d'archaïsmes admirables, étranges, inoffensifs, ou parfois odieux, les cultures vernaculaires ont du mal à résister à l'envahissement moderne qui les méprise ou les écrase, ou encore les dénature, et dans cette concurrence inégale, l'humanité laisse se perdre des savoirs qui, dans le contexte actuel de crise pourraient être des ressources précieuses.
Ces processus sont visibles dans différents domaines comme la production d'objets ou de nourriture, mais aussi dans la médecine, le monde des arts et même l'éducation, l'administration ou la politique. Des penseurs comme Edgar Morin ou Patrick Viveret disent que l'humanité globalisée ne trouvera son harmonie qu'en faisant une synthèse heureuse entre les diverses sagesses et savoirs du monde (et non par le triomphe d'un modèle unique). Ivan Illich, dans ses analyses sans concession nous montre que ce modèle dominant est par ailleurs bien loin d'être en tous points exemplaire. Si Illich (dont la radicalité est parfois difficile à recevoir) défendait le vernaculaire contre la modernité, ce n'était pas par passéisme, mais au nom d'une sage lenteur dans l'évolution des choses, propice à la préservation d'équilibres anthropologiques précieux pour le bonheur des peuples.

Autre sujet, au moment où s'ouvre la conférence sur la transition énergétique (et le surréaliste sommet de Doha). Pour moi la transition consiste avant tout à sortir de la dépendance au carbone fossile (pour cause d'urgence climat). Or à la veille du débat, on agite devant nous (sans doute sous l'influence de groupes d'intérêt) l'éventualité d'issues par le gaz de schiste et autres hydrocarbures non conventionnels. Il faut dire et redire que même devenu rentable (suite à la hausse des cours du pétrole conventionnel), même extrait "proprement" (si on trouvait un jour comment) nous n'aurions là qu'un moyen pour continuer à renforcer l'effet de serre et un mauvais prétexte pour fuir nos responsabilités envers les générations futures. Etre opposé au gaz de schiste, ce n'est pas être doctrinaire ou idéologue comme on l'entend dire ici ou là, c'est avoir compris et intégré que si on veut un climat vivable pour nos petits enfants, il faut tout faire pour sortir de la civilisation du pétrole AVANT épuisement des réserves. Le GIEC et tous les scientifiques qui nous alertent sur ce qui s'observe et sur ce qui est à craindre seraient-ils donc des doctrinaires et des idéologues ?

(*) Le vernaculaire émane de la culture des peuples. Il s'oppose d'une part au savant, élaboré par des élites spécialisées, et d'autre part au commercial, diffusé par la sphère marchande avec une priorité donnée à l'efficience économique.


 1. Mue, mutation                                                               

début novembre 2012
Pour tout dire, je suis assez content de cette image que j'ai trouvée parmi mes photos. Cette libellule qui va bientôt sortir de son enveloppe ancienne de larve aquatique me paraît symbolique à plus d'un titre.

A un niveau personnel, elle marque bien sûr le changement de vie que m'apporte la retraite, même si c'est un peu paradoxal de représenter par cette sorte de naissance ce qu'on dit souvent être le début de la fin. Mais au fond, pourquoi pas ?

D'un point de vue encore assez prosaïque elle symbolise bien le nouveau site qui est en train d'émerger peu à peu de l'ancien. La libellule ressemblera à la larve qu'elle était pendant les quelques mois avant sa sortie de l'eau, mais elle sera aussi assez différente: son abdomen va s'allonger, des couleurs nouvelles vont apparaître et surtout les ailes vont se déployer et devenir fonctionnelles. De façon analogue, le nouveau site va recycler la matière du premier et lui ressembler, mais en mieux j'espère, avec des possibilités nouvelles, et vivre sa vie dans un environnement nouveau.

Enfin, de façon plus générale, je vois dans cette image une métaphore de cette nouvelle ère qui je l'espère va commencer avec la mue écologique du monde des humains. Il est vrai qu'alors, j'aurais peut-être dû choisir le moment où, peu après la sortie de l'eau, l'enveloppe de la larve commence à se fendre, laissant apparaître l'animal "nouveau" qui va sortir, car il n'est pas très sûr que notre civilisation soit si avancée dans l'abandon des habitudes qui l'ont certes nourrie dans son développement, mais qui l'ont aussi mise dans l'impasse. On sait qu'un modèle nouveau est en train d'émerger, qu'il y a des réalisations tangibles et qu'il fait son chemin dans les esprits, mais dans les faits, il n'a pas encore progressé tant que ça.

Quand on entend encore, au nom de l'urgence économique (1), invoquer la sacro-sainte croissance, avec entre autres notamment la renaissance de l'industrie automobile, ou pire encore l'Eldorado des gaz de schiste, on est en droit de douter. Le plus décevant est que par ailleurs on entende si peu dire que, sans parler des dégâts liés aux forages, c'est encore et toujours le carbone fossile qu'on veut brûler, avec toujours plus de gaz à effet de serre. Comment faut-il expliquer que l'épuisement des ressources fossiles n'est en rien la solution au problème climatique ? C'est à la volonté collective des hommes qu'il faut dfaire appel pour prendre sérieusement leur responsabilité envers les générations futures. Mais sait-on vraiment si on peut parler de volonté collective ?

(1) Contrairement à un opinion très répandue, et quitte à passer pour un doux rêveur, je ne crois pas que l'économie soit première dans ce genre de raisonnement. Sans notre planète, sans la nature et les cycles de la vie, il n'y aurait tout simplement pas d'économie. Il me semble que c'est la logique même. Les gens qui parlent un peu vite de "création de richesse" feraient bien de sortir de temps en temps de leurs idées reçues. Ce n'est pas parce que dans le monde des hommes, certains ont réussi à monopoliser les circuits de la production et des échanges en contrôlant l'outil monétaire par l'accumulation et la spéculation qu'ils sont à l'origine de toutes choses. A l'origine des richesses, avant eux, et avant leurs idées (parfois bonnes, parfois néfastes) il y a les ressources de l'environnement et le travail de tous.


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