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Economie


L’économie est-elle une science, ou une construction théorique au service d’une pratique ? Il y a une discipline aux méthodes scientifiques qui est surtout une économie d’observation. Elle construit ensuite des modèles théoriques, à partir desquels certains aimeraient élaborer des théories et des doctrines économiques. En cela, la discipline économique est dans une démarche comparable à celle de la biologie, à partir de laquelle on peut développer des pratiques rationnelles plus ou moins couronnées de succès comme par exemple la médecine ou l’agronomie. Médecine et agronomie ne sont pas à proprement parler des sciences, mais des pratiques à fondement scientifique. Il existe du reste une médecine empirique, voire magique, de même que pour bien des pratiques agricoles. Elles ne se confondent pas avec la biologie qui est une science expérimentale, même si elles déterminent une grande part de ses orientations. Pour l’économie, on fait peu la distinction entre la science d’observation et de théorisation (qui n’est pas facilement expérimentale) et les pratiques plus ou moins bien fondées d’intervention sur le corps social.

Cela serait d’une importance secondaire si l’économie était aussi exacte et couronnée de succès que la mécanique, ou même que la médecine actuelle. Mais on en est très loin : il suffit pour ne prendre que ce seul exemple de voir comment fonctionne la prévision en économie.  Logiquement donc, et compte tenu de la taille des problèmes traités, on aurait dû garder dans le domaine économique une grande prudence. L’histoire récente montre pourtant que ça n’a pas toujours été le cas, et on voit aujourd’hui à quelles aberrations conduit l’ampleur énorme prise par le pouvoir économique.

Il faut surtout souligner que les phénomènes observés par l’économie sont en réalité très complexes, car à la croisée de multiples domaines de l’activité humaine (politique, droit, histoire, géographie, agriculture, techniques, anthropologie, sociologie, psychologie). L’imprécision même de ces « sciences » ne peut que se répercuter sur l’économie, mais celle-ci prétend pourtant en avoir une analyse accessible en se restreignant à la partie la plus mathématique du domaine, c’est à dire au phénomène de la valeur. L’économie compte donc soigneusement la valeur, dans ses flux, ses stocks, sa création, sa dissipation, et classe, compare, prédit, théorise sans beaucoup de regard sur les conditions anthropologiques de ces phénomènes, ni même sur la définition extrêmement fluctuante de la valeur elle-même.

Née au départ de réflexion sur la gestion de domaines agricoles et de la comptabilité domestique, elle est peu à peu devenue la conseillère des dirigeants puis l’axe de réflexion de certaines philosophies politiques, ensuite de quoi elle s’est convertie en une sorte de médecine des entreprises, une agronomie de l’argent
, voire même une météorologie financière pour spéculateurs.

A cela s’ajoute que les plus intéressés à l’économie sont ceux qui ont à traiter de grandes quantités d’argent (institutions financières publiques ou privées, entreprises, dirigeants) mais rarement le citoyen moyen. La « science » économique est donc préoccupée au mieux de bonne gestion publique, et bien plus souvent des moyens divers de maximiser les (gros) profits privés. Il est significatif que l’économie soit enseignée en large majorité dans les nombreuses écoles de commerce ou de finance, puis en second lieu dans les quelques écoles d’administration publique ou de sciences politiques, et au delà comme annexe dans la formation de futurs dirigeants (ingénieurs notamment). Il en résulte de multiples connivences sur ce terrain entre les puissants du monde de l’argent et les puissants politiques, promus ou non par la démocratie. L’organisation démocratique ne garantissant pas une égalité d’influence de tous les citoyens, il ne faut pas s’étonner de voir certains pays démocratiques dévier vers une sorte de ploutocratie, c'est-à-dire une oligarchie des riches.

Avec des ambitions si mal mesurées et des hypothèses de départ aussi déformantes, l’économie ne peut espérer être au mieux qu’une science d’observation très imparfaite
(relativement à son objet) et dans les faits elle se présente plus souvent comme une pratique biaisée par des doctrines intéressées comportant une grande part d’arbitraire. Ce qui n’empêche pas de nombreux économistes d’intervenir dans le débat politique en tant que détenteurs de vérités aussi solides que celles des sciences dures. Quelques exemples : les théories des marchés postulant des conditions irréalisables et jamais réalisées, les indicateurs simplifiés (ce qui est une nécessité) assimilés par des glissements de sens pervers à des notions morales complexes. Dans la pratique, les « lois » de l’économie ne devraient donc pas avoir plus d’influence sur nos décisions que les lois de la psychologie, les lois de la santé, les lois de l’agriculture (ce qui n’est déjà pas si peu).

Le problème de l’économie n’est donc pas tant qu’elle soit une science très imparfaite, mais surtout qu’elle ait pris une influence si dominante
. La mondialisation est marchande avant d’être politique ou culturelle. La hiérarchie des grandes institutions mondiales est révélatrice : une ONU affaiblie et pétrie de contradictions (voir le conflit du Moyen Orient), la Banque Mondiale et le FMI en connivence avec la finance privée internationale, une OMC (commerce) active, dotée d’un tribunal et ayant pouvoir de sanctions, la FAO, l’UNESCO, ont les faiblesses de l’ONU dont elles dépendent, toujours pas d’OME (Environnement), etc… Quelques sujets d’espoir : l’OMS respectée pour sa rigueur, tout comme le GIEC qui représente une véritable autorité scientifique internationale.

Imagine-t-on une médecine qui n’étudierait que le sang ?
Comment traiterait-elle les fractures, les entorses, la myopie ou la surdité, les troubles psychiques, les complications obstétriques ? Si vital que soit le sang, il ne résume pas à lui seul l’organisme, et n’est pas seul responsable de sa santé.

Imagine-t-on une agronomie qui ne s’intéresserait qu’à la pluie ?
Qui tiendrait pour des facteurs secondaires les sols, l’ensoleillement et la température, de même que le travail de l’agriculteur, les animaux d’élevage, les espèces cultivées, les parasites, la transformation des produits ? Si essentielle que soit la pluie, elle n’est pas l’alpha et l’oméga de la productivité agricole.

Les économistes sont pourtant un peu dans cette situation, ils observent des systèmes ultra-complexes de nos sociétés avec comme premier critère les flux de valeur
, et pour « optimiser » ces flux, prodiguent leurs conseils éclairés aux dirigeants qui appliquent ensuite traitements, remèdes et potions plus ou moins amères au corps social. Si essentiel que soit l’argent, il ne permet pas à lui seul de juger du bonheur social. Il y a dans la vie de l’humanité des multitudes de choses importantes que l’économie est incapable de prendre convenablement en compte : les droits humains, les sentiments, la beauté d’un paysage, le bon fonctionnement de la nature, l’harmonie d’une société, l’intérêt pour les générations futures, pour ne citer ici que les lacunes les plus criantes.

On peut expliquer historiquement par quels processus l’économie a pris autant d’influence dans les affaires politiques, mais faut-il en déduire qu’on ne peut y échapper ? On constate partout les effets pervers de cette domination de la conception marchande : le supposé « doux commerce » rendu hyperfluide ne produit pas d’équilibre harmonieux, comme on a pu le croire, mais de l’injustice hypocrite et cynique, de l’instabilité spéculative, du stress compétitif sans but, de la destruction planétaire.

Il ne sera pas facile de sortir de cette logique, de désintoxiquer les esprits de la doxa économiste, d’utiliser la démocratie pour élire non des gestionnaires comptables ou profiteurs, mais des dirigeants capables d’appréhender le changement de civilisation qui s’impose à l’humanité, de construire ou de réformer les institutions mondiales à la mesure de ces problèmes vastes et complexes.

Pour ne pas recevoir passivement les « vérités » de l’économie, il ne faut pas se fermer les yeux sur les contenus et méthodes de cette discipline. Il faut chercher à mieux comprendre sa construction, ses objets, ses méthodes et ses limites. Il faut s’intéresser aux économistes soucieux de produire une connaissance orientée vers la gestion du bien public, et s’opposant aux théologies dominantes du marché dérégulé et de la croissance. Ces économistes existent et s’ils sont moins omniprésents que ceux qu’ils combattent, ils n’en sont pas moins honnêtes, rigoureux ou convaincants.


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