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DÉcomplexé


Parmi les mots qui reviennent souvent dans les conversations, dans les médias, le mot « décomplexé » est particulièrement intéressant à analyser. La consommation, l'humour, le design des voitures sont décomplexés, les politiques de droite ou de gauche sont décomplexées. C'est une manière positive d'évoquer l'excès, l'outrance "assumés".

Ce mot est dérivé de la notion de « complexe », qui en psychanalyse caractérise les difficultés psychiques d’un sujet soumis à un conflit interne provenant de son subconscient. Il est alors assailli par des injonctions contradictoires, en général celles de ses désirs ou de ses pulsions d’une part, et celles des codes sociaux, de la morale d’autre part. Certaines  de ces situations (comme la rivalité père-fils que Freud a nommée complexe d’Œdipe) sont finalement assez fréquentes et le travail de la psychanalyse peut notamment consister, par la prise de conscience et la banalisation, à désamorcer, dénouer ou atténuer le drame interne du patient. Par la suite, les personnes qui, faisant plus ou moins fi des codes sociaux contraignants, assument ouvertement leurs particularités, éventuellement par des comportements peu conventionnels ont été qualifiées de décomplexées. L’expression marque une certaine admiration face à la liberté individuelle affichée, éventuellement teintée d’un reste de réprobation pour la provocation.

Pour résumer, celui qui est complexé (on peut aussi dire désinhibé), c’est celui qui a pu se libérer de la pression des conventions sociales pour mieux trouver une expression à sa nature profonde
. C’est un terme assez caractéristique de la libération des mœurs dans les années 70. Est décomplexé celui qui peut vivre heureusement et ouvertement avec ses particularités physiques, ses bizarreries sexuelles, son statut social minoritaire. C’est la victoire de la vérité naturelle contre l’hypocrisie de la vie collective. C’est l’indifférence à la morale majoritaire comme rempart au bonheur individuel. C’est le triomphe de la liberté (individuelle) sur la contrainte (sociale).

Pourquoi retrouve-t-on si souvent ce mot dans la société de consommation d’aujourd’hui ?
C’est que, après la libération des trente glorieuses, on a vu émerger peu à peu une culpabilité diffuse. Après avoir été incité à profiter sans souci des fruits de la croissance économique, le consommateur actuel est en permanence alerté sur les conséquences néfastes, plus ou moins indirectes, que ses choix entraînent, il est pris dans un réseau d’impératifs de tous ordres : pratiques, diététiques et médicaux, micro-économiques et macro-économiques, environnementaux, politiques, patriotiques, etc… Confronté à des choix cornéliens et lourds de conséquences, il n’a que peu de prise sur le système qui le met dans cette situation, et qui de plus le surinforme, voire le désinforme. Qui ne s’est pas posé mille questions devant les cafés ou les laitages du supermarché, comparant prix, marques et produits ?  On est en permanence coupable d’acheter ce qu’on ne devrait pas, de ne pas acheter, de n’acheter que ce qu’il faut. Comment ne pas vouloir refuser cette société culpabilisante aux commandements contradictoires ?

Le décomplexé d’aujourd’hui pense s’être affranchi des contradictions de nos envies collectives : valorisation de l’individu contre retour à l’éthique, pulsions égoïstes exacerbées par la compétition libérale contre langue de bois politique sentencieuse et pensée unique moralisante.


Etre décomplexé, c’est refuser une culpabilité hors de propos.
C’est une libération de la parole et des actes. C’est comme on l’entend partout, vivre sa vie, être soi-même, faire son outing, réaliser son rêve (même le plus fou) envers et contre tout. Comme on disait dans les villages d’autrefois, c’est se moquer du qu’en dira-t-on. C’est probablement aussi refuser certaines responsabilités car le décomplexé, en assumant son petit égoïsme, plus joliment rebaptisé hédonisme, continue d’alimenter les tiroirs-caisses de la société de consommation sans s’occuper du gaspillage, ou même parfois de faire les beaux jours de la télé-réalité.

On peut penser que cette prise de liberté est salutaire, car les contraintes de la vie contemporaine sont souvent trop lourdes, et parce qu’il n'est pas mauvais de sortir des contradictions quitte à admettre quelques imperfections. Mais en y regardant plus près, il faut aussi se demander si le retournement de sens du mot n’est pas préoccupant.

Cette désinhibition revendiquée a deux faces: d’une part c’est le symptôme d’un retour de la morale, d’autre part c’est l’affichage d’une opposition assumée à cette morale. La question est alors de savoir si l’emploi actuel de ce mot révèle la même dialectique que celle des années 70 (en gros bourgeoisie engoncée dans ses conventions contre jeunesse idéaliste et libertaire) ou si elle est différente.

Le retour actuel de la morale est fortement lié aux inquiétudes suscitées par le changement accéléré du monde, mais il faut distinguer les formes sous lesquelles il se présente
: On voit d’un côté ressurgir une morale fondamentaliste qui est effectivement un retour régressif vers des valeurs sociales anciennes bousculées par la mondialisation culturelle. Mais on observe aussi un retour moral appelé à combler le manque de repères face à l’évolution folle du monde technico-marchand. On ne peut pas confondre ceux qui cherchent à nier les changements en s'enfermant dans la lecture littérale et exclusive des textes anciens et ceux qui veulent prendre en charge les questions en suscitant des réflexions contemporaines, par les comités d'éthique, les moratoires, les principes de précaution notamment.

Où sont les décomplexés aujourd’hui ?
du côté des idéalistes rêvant un monde meilleur, altermondialistes, écologistes, bénévoles des ONG, chez les consommateurs de rêve en boîte, les riches bling-bling, les prédateurs ultralibéraux, voire parmi les réactionnaires proclamés, fondamentalistes religieux, nationalistes extrêmes, ou racistes de diverses provenances?

C’est en distinguant clairement ces différents cas de figure qu’on pourra dire si cet air du temps désinhibé correspond toujours à une libération salutaire, ou si il est devenu le cache-sexe du cynisme hyper-moderne ou le masque d’un obscurantisme résurgent.








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