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Limites, illimité


NO LIMITS ! c’est le commandement de notre époque: on nous enjoint de nous dépasser, on veut repousser les limites, battre les records, abolir les frontières, l’art se veut transgressif, on nous propose des forfaits illimités, etc…
Illimité, voilà un argument publicitaire définitif. Insidieusement, nous sommes ainsi éduqués à ne pas admettre que notre activité sur Terre a des limites. Obstacles administratifs, contraintes financières, carcans réglementaires, le sens péjoratif de ces termes dit assez notre difficulté à accepter des limites à la liberté d’agir. Et naturellement, la religion de la croissance est habitée par la négation des limites. quelles qu’elles soient :
  • négation des limites de l’animal humain, sa durée de vie et ses capacités physiques, même augmentées de tout ce que l’ingéniosité des sociétés humaines a pu produire,
  • négation des limites de la planète, de son équilibre et de ses ressources.
On peut envisager plusieurs catégories de limites :
  •  il y a ce qu’on ne peut dépasser, les maxima possibles,
  • mais aussi les séparations, les frontières, les cloisonnements ;
  •  il y a des limites physiques ou concrètes,
  •  il y en a d’autres virtuelles ou même morales.
  • Ces limites concernent des choses très diverses: croissance, extension, déplacement de personnes, d’objets, performance, invention nouvelle.
Malgré son contenu très multiforme, l’idée de limite est le plus souvent pensée comme une chose qui doit être dépassée un jour ou l’autre, comme un interdit à transgresser, un au delà à explorer, un mur à faire tomber.

Accepter des limites, ce serait renoncer au Progrès
qui n’avance que par leur remise en cause. Il y a du vrai dans cette dialectique, mais on en déduit un peu vite que toute limite « est faite » pour être franchie, puis abolie, comme les records « sont faits » pour être battus. « Quelle limite n’a pas été dépassée ? » lit-on dans une publicité moquant ceux qui craignaient les premières ascensions, la vitesse donnée par les moteurs, l’électricité, etc…
Aujourd’hui, une limite, ce serait un archaïsme, au mieux une survivance, un défi à l’inventivité humaine, un barrage à la mobilité, à la fluidité, bref un obstacle à la bonne marche du monde.

Or
voici que parallèlement, la conscience des limites terrestres apparaît peu à peu. Malthus au XIXe siècle et ses héritiers du Club de Rome des années 1970 se sont peut-être trompés sur les modalités précises, mais ils avaient cependant raison sur le principe. L’empreinte écologique des hommes dépasse ce que la Terre peut supporter à long terme sans dommages, et nous mangeons le capital que nous devrions léguer à nos successeurs. Même si elle est difficile à définir avec précision, il existe effectivement une limite globale (mot juste s’agissant de la Terre) à notre développement, et nous sommes en train de la franchir. Parallèlement, le dépassement de certains seuils par l’économie mondiale galopante devient de plus en plus évident et une opposition à cette course effrénée se manifeste.

Le principe de la transgression des limites n’en a pas moins de nombreux défenseurs, mais ils ne sont pas exempts de contradictions
.

On dénonce comme un obstacle au développement le principe de précaution, qui traduit des doutes légitimes sur la maîtrise, au delà de certaines limites (énergétiques, biochimiques, notamment) des effets de notre technique. Pour ceux qui se veulent à la pointe du Progrès technoscientifique, il est interdit d’interdire, mais par ailleurs, les bénéfices de ces innovations sont verrouillés par des brevets.

On ne fait pas le lien, pour prendre un exemple emblématique, entre la richesse des pays développés et la limitation des naissances. On ne reconnaît qu’à regret les bienfaits de la limitation généralisée de la vitesse sur route, et il faut que les excès de la finance provoquent une crise mondiale pour qu’enfin on parle d’imposer une limite aux écarts de revenu.

Plus généralement, on se demande comment on peut encore croire sérieusement à l’illusion du sans limite. Si on s’émerveille tant d’un record sportif battu, c’est que le phénomène devient rare et difficile. Un fois passés les premiers progrès engendrés par la compétition, les performances tendent asymptotiquement vers des valeurs finies, et le gain d’un centième de seconde sur un sprint de 100 mètres est souvent plus révélateur d’un changement technique, voir d’un trucage biotechnologique, que d’un réel progrès humain.

Aujourd’hui, le simplisme et la vacuité du dogme du sans limites deviennent ainsi de plus en plus manifestes
.

La vertu attachée aux limites et à la modération a été soulignée par certaines morales, au nom de diverses valeurs. Mais l’hédonisme assez superficiel promu aujourd’hui par l'économie commerçante s’accorde mal à l’idée de modération dénoncée comme ringarde ou culpabilisante.

Si, pour sortir des principes purement moraux, on prend un peu de recul, et si on essaie de comprendre comment cette question des limites se manifeste dans la Nature, on voit que les phénomènes de limites, de frontières, de barrières, y sont omniprésents, et que c’est même une condition essentielle pour l’existence de la vie.

La vie est constituée d’équilibres, ce qui suppose une certaine modération : plages de température, niveaux d’énergie, degrés d’acidité, etc… Même s’il y a des organismes minuscules et d’autres qui semblent gigantesques, on reste dans une gamme d’échelles en fait assez restreinte, comparée à l’ensemble du monde physique. Nous voyons dans la biodiversité une générosité effrénée, alors qu’il faudrait n’y voir que l’extraordinaire « patience de l’évolution » sur des milliards d’années.

Même les organismes ou les ensembles biologiques qui ont une morphologie permettant une croissance apparemment sans limite ont en fait, un limite de viabilité. Les arbres ne grandissent pas jusqu’au ciel, dit un proverbe. Dans un écosystème, les partenaires s’imposent mutuellement des limites, par leur seule coexistence. Lorsque l’un d’entre eux se met à proliférer faute de limitations immédiates, le système est dérégulé, il entre en crise, et il peut parfois même dépérir, s’il n’a pas assez tôt retrouvé un équilibre. On commence à voir que c’est également vrai à l’échelle de la biosphère.

Pour fonctionner, la vie a aussi besoin de cloisons, de barrières, d’enveloppes. La séparation des écosystèmes par les aléas de la géographie peut déboucher sur l’enrichissement de la biodiversité. Une certaine isolation, c’est aussi moins de risque de contagion et une préservation de l’équilibre. Le laboratoire n’est-il pas souvent un lieu de confinement ?

La Nature ne nous donne certes pas de leçons de morale, mais elle nous donne en tout cas un exemple de durabilité
.

Si on y réfléchit bien, il n’est donc pas très sage de considérer toute limite sous l’angle négatif de l’empêchement. Nous rêvons de repousser les limites de la connaissance, mais faute de bien comprendre ce que nous découvrons, nous sommes saisis de vertiges proprement métaphysiques devant l’infiniment grand, l’infiniment petit, ou les complexités inextricables. Nous rêvons d’accroître encore notre puissance d’action, mais nous réagissons mal aux retombées négatives d’une technique insuffisamment maîtrisée.

Refusant les limites de notre vie d’individu, nous rêvons d’une vie éternelle, et nous faisons semblant de croire à la médecine qui nous promet de repousser sans fin la mort. La mort n’est pas le contraire de la vie, elle en fait partie. Et c’est sans doute parce que notre compréhension des choses a des limites que nous avons ce refus primaire, mais pas très sage de l’inquiétante fin de notre individu et que nous sommes poussés vers cette quête incessante du dépassement.


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