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Déchets


C’est un principe à peu près universel, toute transformation produit des déchets. En réalité, elle engendre des rejets ou des sous-produits, et c’est le peu d'intérêt (ou le jugement négatif) que nous avons pour ces rejets et sous-produits qui correspond au nom de déchet. Le déchet, c’est ce qui n’a plus d’utilité. Le déchet est donc déclassé, il n’a plus de valeur.

Cette logique gouverne la physique réelle (mais imparfaite): les frottements produisent de la chaleur et le rendement imparfait des machines met en évidence l’entropie, sorte de déchet de l’énergie.  L’érosion ou l’usure, si faible soit-elle, correspond à la dégradation progressive des objets au cours de leur fonctionnement. Les frictions arrachent et dispersent de la matière, qui bien souvent ne sera pas réemployée. La chaleur entropique doit être dissipée et la poussière des usures forme des dépôts souvent inutiles et même nuisibles.

C’est en référence à ces principes fondamentaux de la physique que l’économiste Nicholas Georgescu Roegen considérait qu’une économie même fondée sur le renouvelable et respectant les limites terrestres ne pourrait empêcher à (très) long terme une dégradation progressive de la planète.

L’activité humaine en effet n’échappe pas à cette loi et sa production de déchets est allée croissant. Dans l’économie des sociétés traditionnelles, la matière, les objets avaient une grande valeur, tandis que le travail n’était pas mesuré. On préférait donc travailler à trouver une utilité aux sous-produits des activités, et les filières s’organisaient en conséquence. La Nature pouvait aisément recycler les résidus ultimes, quantité modérée de matière relativement peu transformée. Divers processus assuraient un minimum de recyclage: cochons nourris avec les restes, maraîchers récupérant les boues, chiffonniers, brocanteurs, ont contribué à entretenir jusque dans les villes les grands cycles de la matière. Mais avec l’accroissement des populations et l’entassement urbain, les déchets ont peu à peu commencé à poser des problèmes d’accumulation. On se rappellera qu’une part non négligeable de l’urbanisme consiste encore à organiser l’évacuation des déchets.

Avec la modernité, le travail humain devient cher, il est souvent remplacé par la machine, et la puissance d’extraction rend la matière abondante. Une part croissante de cette matière est transformée à un degré qui empêche son recyclage par la Nature. Dans la logique industrielle le traitement des déchets n’est fait que s’il ne revient pas trop cher (en matière perdue, en travail à fournir pour stocker, trier et recycler). Dans le même temps, la quantité de déchets produits augmente, avec la civilisation du jetable, de l’emballage et du packaging, avec aussi la prédominance du critère économique et l’obsolescence des objets accélérée par l’évolution technique. N’étant que partiellement traités, les déchets s’accumulent, posant le problème de leur stockage (où et sous quel volume ?) et de leurs nuisances (pollutions, contaminations, surveillance). L’extension des décharges autorisées ou clandestines devient alarmante, de même que l’ampleur de diverses pollutions non seulement urbaines et industrielles, mais aussi agricoles.

Aujourd’hui, avec la nécessité de penser à nouveau en cycles, nous devons opérer une révolution mentale au sujet des déchets. La Nature nous montre que pour elle, il n’y a en principe pas de déchet absolu. Les accumulations de matière morte qui  nous paraissent être des déchets deviennent plus ou moins rapidement une opportunité pour certaines espèces. Le rôle essentiel des charognards, des organismes nécrophages ou coprophages dans les cycles naturels a largement été démontré. Le botaniste Francis Hallé nous propose d'admirer comment les cellules végétales immobiles, accumulant leurs déchets à leur périphérie, constituent par là même un squelette ligneux (tige de plante ou tronc d'arbre) qui est une des productions les plus remarquables de la Nature.

Et pourtant, si la Nature ignore l’idée de valeur, et donc de matière dévalorisée, on peut quand même observer que l’insuffisante intégration des sous produits dans les cycles engendre des déséquilibres. Dans un organisme, la mauvaise évacuation des déchets accumulés provoque des troubles parfois graves (accumulation de toxines, stockage excessif de graisse, rétentions digestives, etc…). De même, un écosystème peut devenir localement malade de ses propres déchets et des zones d’accumulation peuvent passagèrement ou durablement apparaître « en crise », pauvres en vie et en biodiversité, du fait du déséquilibre engendré par l’accumulation de « déchets ». Certains fonds vaseux,  certains sols peu fertiles (éboulis, dunes, pierriers) peuvent être vus comme des dépôts de matériaux résiduels non valorisés par la vie. Les déchets que nous produisons et que la Nature ne parvient pas à intégrer dans ses cycles s’accumulent aussi, créant des zones malades qui tendent à s’étendre de plus en plus.

C’est en référence à ce fonctionnement qu’on parle aujourd’hui dans l’industrie de valorisation et même d’écologie industrielle, quand des activités différentes s’organisent et se regroupent dans le but d’optimiser les processus de récupération et de recyclage. Ce retour à une logique compatible avec celle de la Nature sera d’autant plus facile qu’on évitera de produire les déchets en trop grande quantité. La solution du problème passe prioritairement par leur réduction à la source en choisissant les processus industriels, les matériaux, et les systèmes de conditionnement et d’emballage.

Ces considérations sur la nocivité ou l'utilité des déchets peuvent être généralisées : De même qu’il y a des déchets physiques, on peut dire que la mémoire fait son tri en réléguant bien des choses dans l'oubli ou le refoulement. Il est vrai que cela lui évite un foisonnement impraticable, mais de temps à autre, il peut s'avérer salutaire d'exhumer comme le font certains historiens ce qu'on avait pu oublier, d'aller récupérer des enseignements utiles dans les poubelles des temps anciens. Il n'y a pas si longtemps, seuls quelques isolés pariaient sur l'avenir de l'énergie éolienne, et personne en Europe n'aurait pensé que la construction en terre aurait encore un intérêt. De même, on peut parfois regretter d'avoir perdu l'usage de certaines techniques agricoles, qui pourraient aujourd'hui utilement nous inspirer. Il n'est pas toujours simple de décider si un savoir mérite le musée, la brocante ou la poubelle.

Certains penseurs écologistes cités par Serge Latouche pensent avec quelque amertume que la machine économique productiviste est devenue un système qui voit l'homme comme un déchet puisque sa logique vise de plus en plus à se passer de lui. Sans être aussi radical, on peut pourtant voir que le métabolisme social produit aussi des lieux de dévalorisation, de jugement négatif: temps et énergie perdus en activités stériles ou nocives (complications administratives ou procédurières, corruptions), débordements des folies collectives, bellicisme et trafic d’armes, foisonnement de sous culture, phénomènes de parasitismes, dégâts sociaux, délinquance, chômage, économie parallèle, urbanisme précaire et sauvage, etc … Mais s’il peut être éclairant de comparer ces phénomènes à des sortes de déchets issus du métabolisme social, il faut se garder d’y associer trop hâtivement un quelconque jugement moral. N’oublions pas que la connotation négative du déchet tient à sa faible utilité. Or l’utilité est  une notion plus économique que réellement morale et son emploi réducteur a prêté à bien des dérives dans l’évaluation des sociétés. Là aussi, il serait peut-être bon, plutôt que de vouloir éliminer ces sous produits involontaires et néfastes, de chercher à les réduire « à la source ». Faire porter l’opprobre des dysfonctionnements sociaux sur ceux qui en sont victimes est injuste. Réformer la société dans le sens d’une meilleure prévention est à n’en pas douter plus judicieux même s'il convient de rester nuancé. On notera ainsi que comme la Nature, mais avec une certaine ambiguïté morale, le fonctionnement social est aussi sujet à la récupération et au recyclage : blanchiment de l’argent du crime, glorification des guerres, récupération des sous cultures par l’art savant, et plus généralement conversion en argent de tout ce qui s’y prête.

Dans la société comme dans la Nature, la qualification comme déchet est fluctuante selon les points de vue, chacun selon sa position portera sur ces questions un jugement différent. Riche, variée et complexe, la Nature n'est pas une machine parfaite, pourquoi la société le serait-elle? Ce que l’administrateur voit comme une scorie sociale peut apparaître pour d’autres comme une opportunité salvatrice ou un filon à exploiter. Si on n'hésite pas à condamner le (non) traitement des déchets par les Mafias dans la région napolitaine, comment juger l'éclosion de Soeur Emmanuelle parmi les chiffonniers du Caire ?




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