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Parfait


Comme il est dit à la fin du film Certains l’aiment chaud : « Nobody is perfect ! », et plus généralement on dit couramment que la perfection n’est pas de ce monde. Seul Dieu est parfait, mais Dieu existe-t-il ? Peut-on penser un monde parfait, si on ne s’intéresse qu’à celui d’ici-bas ? Faut-il, parce que l’idéal est inaccessible, renoncer à toute action, ou agir sans but ?

La perfection est donc un idéal mais de quoi ? On pense souvent à un idéal de vertu, mais à l’origine, la perfection serait plutôt le « zéro défaut ». L’étymologie du mot parfait, contient en effet l’idée de l’achèvement. Est parfait ce à quoi il n’y a rien à ajouter.

En sciences
, on utilise aussi l’adjectif parfait pour désigner un objet idéalisé sur lequel on raisonne. Dans ce cas, la perfection, ce serait avant tout la simplicité (simplicité de description, de fonctionnement). Pensons aux gaz parfaits, aux solides parfaits, aux formes parfaites, aux machines parfaites, au marché parfait. La chose parfaite est alors réduite au principal, sans les perturbations qui existent dans la réalité. La perfection procède alors en quelque sorte du refus de certaines complexités (défauts matériels, géométriques, frottements, effets secondaires, incertitude de comportement ou de mesure). Lorsque le recours aux concepts parfaits facilite le raisonnement et permet de développer des théories intéressantes et utiles, c’est une démarche positive, mais si la simplification déforme trop la réalité, si le raisonnement s’applique à des modèles trop schématisés pour décrire correctement ce qu’on cherche à comprendre, la perfection correspond à une fuite dans un monde d’idées qui peuvent être trompeuses.

C’est notamment ce à quoi on assiste dans les sciences du complexe, notamment en psychologie ou en économie, dont les théories ne sont que des schémas incertains. C’est également ce qui résulte de données physiques trop nombreuses lorsqu’on cherche à prévoir les phénomènes climatiques ou l’évolution de grands écosystèmes. Dans ce cas, sans s’interdire le raisonnement, il faut garder conscience des limites autorisées pour l’interprétation prudente des « résultats ». La grande difficulté alors est d’apprendre à discerner l’apport réel de certitudes dans l’image floue issue du raisonnement.

La perfection, à cause de cette simplicité, ne mène-elle pas aussi à l’ennui ?
Ne se lasse-t-on pas de la beauté parfaite des stars sur papier glacé ? En musique, il y a des accords parfaits, des cadences parfaites, qui sont favorablement perçues par l’oreille, car ce sont des combinaisons de sons relativement simples (quoique pas totalement simplistes). Une musique qui ne fonctionne qu’à partir de tels éléments devient vite conventionnelle, prévisible, ennuyeuse, stéréotypée. La musique aseptisée des synthétiseurs et des boîtes à rythmes est peut-être efficace, mais souvent désincarnée.

Les grands compositeurs sont ceux qui on su échapper au diktat de l’harmonie méthodique et perpétuelle. L’évolution de la musique occidentale savante en est même arrivée à une sorte de phobie systématique (et probablement excessive) des lois de l’harmonie et du rythme. Sans aller jusqu’à trouver une esthétique dans le chaos permanent, comme le font certains artistes ou philosophes, ne faut-il pas aussi reconnaître que les imperfections de notre monde contribuent tout autant que son ordre et son bon agencement à son intérêt, à son charme, à sa beauté ? La vie est née d’une singulière combinaison de désordre et d’ordre, et a évolué vers cette Nature diverse, complexe et fascinante grâce à des défauts, des tentatives multiples, hasardeuses et souvent imparfaites.

Peut-on alors parler parfois d’un excès de perfection ?


Quand on est un esprit exigeant, on a souvent tendance à récuser certaines choses, du seul fait de leur imperfection. Le refus du compromis est souvent considéré comme un signe de cohérence, de rigueur morale ou intellectuelle. Cette problématique est au centre des débats politiques récurrents entre utopistes et pragmatiques.

Nous vivons en effet dans un monde traversé de contradictions, confronté à des nécessités urgentes de mutation exigeant des recherches, des expériences, des tentatives. Mais ce monde qui a ses qualités doit aussi conserver une certaine stabilité, il a une inertie, l’action doit être prudente. Il est peu probable alors que tout cela puisse se faire sans contradictions, sans défauts résiduels, et on peut alors se demander si dans ce cas, le refus de l’imperfection ne serait pas parfois un prétexte pour refuser des changements positifs et nécessaires. La perfection de la solution proposée, n’est pas un bon critère de décision car l’idée d’une perfection prête à l’emploi est une illusion. Il importe plus de voir si par rapport à un but idéal et donc utopique, mais qu’on espère bien construit, on est dans une situation de progrès, et quel est le bilan de ce progrès.

La mutation vers l‘écologie porte en elle cette difficulté. La dimension utopiste de l’écologie est fréquemment renvoyée à diverses impossibilités et aux contradictions (compromissions) qui en résultent. Pour éviter ce reproche, il faut bien arbitrer entre la recherche utopique de la perfection et la nécessité d’admettre la complexité des choses pour agir et avancer. Un écologiste a le droit de parler et d’alerter sur les dangers planétaires, même en dépensant du papier, même en se branchant sur un réseau électrique, même en étant par ailleurs un voyageur ou un consommateur pollueur. Sa parole n’est pas nécessairement disqualifiée par les contradictions qu’on pourra lui reprocher. A moins de vouloir disqualifier toute morale, ou de vouloir réserver la parole aux hypocrites, on ne peut prétendre que seuls les parfaits puissent être écoutés.

La perfection est une idée simple et forte qui permet de penser des utopies, mais la force qui émane de cet absolu est un risque
. L'histoire montre assez le lien qui a pu s'établir entre totalitarisme et volonté absolue de perfection. L’action est un chemin complexe et incertain, et il est plus prudent de considérer la perfection sur un mode relatif. La difficulté est alors de ne pas laisser les certitudes se dissiper dans le brouillage relativiste, et à ce titre la construction d’un idéal prend tout son sens.

On ne saurait mieux dire qu’Edgar Morin : vouloir un monde meilleur qui ne soit pas le meilleur des mondes.



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