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SURIMI


Le nom japonais de surimi désigne une nourriture reconstituée à partir de restes de chair de poissons et fruits de mer. Convenablement compactés et abondamment aromatisés au goût de crustacé, cela forme un substitut de crabe bon marché et acceptable.
Dans la vie courante de tels procédés sont très répandus et on peut considérer que bien des pâtés de charcuterie, des farces et remplissages divers relèvent de cette logique récupératrice, qui cultive l’art d’accommoder les restes dans la perspective d’une bonne économie ménagère.

Mais on peut aussi étendre ce concept à d’autres domaines hors du monde alimentaire, et observer comment dans le bâtiment, certains sous-produits, agglomérés de bois, ou éléments de béton sont pour ainsi dire des surimis de bois ou de pierre. Revêtus d’un placage aux apparences nobles, les panneaux d’aggloméré se substitueront au bois massif comme le surimi au crabe.

Produit
de récupération destiné à l’alimentation des hommes, le surimi doit être amélioré par l’industrie agro-alimentaire au moyen d’additifs pour le goût, la couleur ou la texture. Il arrive cependant que pour certains rebuts, ces procédés ne permettent pas d’atteindre une qualité acceptable par les hommes. L’ingéniosité industrielle n’hésite pas alors à proposer ces produits sous forme de pâtés et croquettes aux propriétaires de chiens et de chats et le décalage entre contenu et emballage n’en est que plus flagrant.

Y a-t-il une morale du surimi ?
La gestion raisonnable des ressources et l’élaboration de produits bon marché rend elle acceptable la « tromperie » sur la qualité ? C’est un dilemme qu’il faut juger au cas par cas, et arbitrer entre la nécessité économique, la vertu ménagère et le respect dû à l’authenticité. Nous comprenons la tradition charcutière ou tripière qui valorise l’animal au maximum (dans le cochon, tout est bon), mais notre méfiance s’installe dès lors que la recette devient industrielle et que le marketing imprime sa logique.

Avant de condamner le principe même du surimi, on se rappellera que la nature elle même pratique cette forme de recyclage des déchets. Un grand nombre de roches (dont certaines sont très appréciées) sont ainsi produites à partir des débris minéraux par la cuisine géologique. Il faut pourtant remarquer qu’à part le compost, la terre végétale, la vase, et (très significativement, mais sans jugement de valeur) les innombrables variantes de la merde, le surimi de la nature concerne plus généralement la matière inanimée que celle produite par la vie qui recycle par des procédés généralement plus élaborés que le simple compactage.

Au delà des surimis alimentaires ou matériels, nos sociétés sont aussi consommatrices de surimis plus symboliques, agglomérats  plus ou  moins réussis de choses variées et disponibles. Les produits dérivés de la finance, qui ont joué un rôle central dans la crise de 2008 sont des surimis de placements, avec une volonté manifeste de dissimulation. Mais il y a aussi des surimis culturels, littéraires, médiatiques ou intellectuels qui alimentent une pensée collective par fragments assemblés plus ou moins au hasard. Un exemple caractéristique en est la revue de presse, et plus récemment le zapping télévisé, qui a fini par devenir une manière de s’informer de beaucoup de nos contemporains. De même, nombre d'indices, de notations ou de labels délivrent sous une forme prédigérée et synthétique un surimi de jugement sur des questions hélas souvent complexes.

Il est normal et souhaitable que dans une société les idées circulent et se recomposent. Avec l’expansion de l’imprimerie et la généralisation progressive de la lecture, le mouvement de brassage s’est amplifié et la recomposition des idées  a peu à peu adopté la logique du surimi industriel. Les structures médiatiques des sociétés contemporaines sécrètent ce mode de production, car le format des journaux, sur papier ou sur écran, et plus encore le format des messages publicitaires produisent toutes sortes de débris de pensée qui s’agglomèrent à nouveau (pour le meilleur ou pour le pire) dans les textes et dans les têtes. Cela permet une assimilation rapide et sans peine de questions innombrables, mais de même que la traçabilité dans le surimi alimentaire est problématique, de même, la pensée surimi peine à trouver ses repères, ses hiérarchies et ses valeurs. L’authenticité peine à s’y frayer un chemin, le relativisme gagne et bien des falsifications peuvent s’y glisser. Rendue sous cette forme accessible au grand nombre, la pensée devient ainsi plus digeste, mais elle peut aussi y perdre sa force, sa justesse et sa sincérité. Si on peut admettre que tous n’aient pas la disponibilité pour une bonne cuisine authentique, il ne faut pourtant pas confondre le pâté du terroir avec la mixture industrielle qui l’imite.

Il est déjà inquiétant que dans les sociétés qui se veulent démocratiques, la pensée du plus grand nombre soit ainsi dominée par le prêt-à-penser cuisiné par les médias, mais on doit à fortiori s’alarmer du fonctionnement des officines proches des centres de décision.
Dans ces milieux dominés par l’urgence administrative, politique et médiatique, on concocte des rapports administratifs, des « digests » de toutes sortes qui  atterrissent sur le bureau des dirigeants à l’agenda débordant. Il est même fréquent que certaines règles de gestion impliquent la soumission des décisions aux appréciations préfabriquées des indices, labels et autres notations.  N’ayant, malgré toutes leurs qualités, pas de temps pour penser, les décisionnaires alimentent donc leur jugement à cette malbouffe intellectuelle et comptent sur leurs communicants pour les aider à rendre leurs propos séduisants. Si on peut comprendre que la massification des idées (pour ne pas dire la démocratisation) se traduise en grande partie pour les gens ordinaires par cette « pensée unique » dont la condamnation même est devenue un lieu commun, il est en revanche important qu’ici et là (et notamment près des lieux de pouvoir), des moyens et surtout du temps puissent être consacrés à élaborer et diffuser une réflexion mieux cuisinée.








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