Parmi les mots récurrents dans le discours politico-médiatique,
ceux-là tiennent une place de choix. Ils concernent en effet
notre
vision du
futur. Celle-ci résulte
de la
situation
actuelle et de son évolution probable, mais aussi de notre
compréhension et de
notre psychologie.
Des éléments du bonheur
Les jugements
optimistes
(qui du reste ne s’appliquent pas uniquement à l’avenir) dépendent moins des circonstances extérieures que de
l’état d’esprit de la personne qui juge.
La confiance, vision
positive du futur
ou optimisme dans l’incertitude, s’appuie en général
sur un
raisonnement et une certaine expérience. Elle est l’opposée
de la peur ou de
l’inquiétude, et
participe donc
notablement au bien-être.
L’espoir
est lui aussi
une composante du bonheur. Face à un avenir incertain, il représente une
croyance positive pas
nécessairement
raisonnée, et en général une attente relativement
forte. Confiance et
espoir dépendent beaucoup
des
réalités, même si leur perception par le sujet est aussi modulée par
son degré
d’optimisme. On notera au passage que le revers de l’espoir est la
nostalgie,
consolation dans l’évocation d’un passé meilleur.
Sentiments heureux, la confiance, l’espoir ou l’optimisme sont
préconisés les professeurs de bonheur, mais on ne les obtient pas sur
commande,
ni pour soi, ni pour les autres. Et surtout, à plus long terme, il
importe de
savoir si ces anticipations positives ont été ou sont faites à bon
escient.
L’optimisme trop risqué, la confiance trahie et les espoirs douchés
peuvent
être destructeurs. L’excès de confiance mène à la naïveté ou à
l’imprudence, voire
à l’inconscience et même à l’irresponsabilité.
Facteurs de confiance dans la société
Les multiples manières de favoriser la confiance ne sont pas
équivalentes. La solidité,
la stabilité
et l’expérience
aident à anticiper l’avenir. L’homogénéité sociale et l’égalitarisme
réduisent les sujets de méfiance. La solidarité ou les
assurances
atténuent les mauvais effets des aléas malencontreux. La propagande et l’autosuggestion
(la méthode Coué en quelque sorte) peuvent agir sur l’optimisme,
parfois même en dépit des faits. La logique des prophéties
auto-réalisatrices (plutôt improbables) ne légitime cependant pas
l’abus général qu’on fait de cet artifice. L’espoir ou la confiance
ne sont pas l’insouciance,
et ne devraient pas résulter de
l’inconscience ou de la tromperie.
Si la confiance occupe tant la politique et les médias, c’est qu‘au
sein d’une société,
elle est un
facteur déterminant
de l’harmonie générale, qu’il s’agisse de la confiance que les
individus peuvent avoir les uns envers les autres ou de celle qu’ils
ont envers la collectivité, ses institutions et son fonctionnement.
Pour le politique, c’est la question que le philosophe Frédéric Gros
désigne comme le triangle Liberté - Justice - Sécurité. Dans son livre
Le Principe Sécurité il rapproche les notions de confiance et de
sécurité comme absence de crainte, absence de peur (sine cura). Posant
la question de ce qui fait peur (guerres, banditisme, maladie,
accidents, empoisonnement insidieux, etc…) ou de ceux dont on peut
avoir peur (bandits, revanchards, ennemis, dépossédés, puissants), il
explique que les sociétés très inégalitaires sont sujettes à une dérive
vers des logiques totalitaires, vers la paranoïa collective ou même un
contrôle obsessionnel et un sécuritarisme « Big Brother ».
En principe, la
confiance devrait être meilleure dans une société ou règne une morale
partagée qui promeut respect et entraide. La paix sociale
peut
aussi être favorisée par un sentiment collectif
d’espoir qui aide à accepter des difficultés présentes contre la
promesse d’un avenir meilleur. On voit par là comment les religions ont
pu être et sont encore un ciment social, non seulement comme support
d’une morale partagée, mais aussi lorsqu’elles prêchent la confiance en
un Dieu
bienveillant et diffusent dans des sociétés injustes l’espoir
d’une récompense des vertus après la mort. On ne s’étonne pas non plus
de la floraison des promesses politiques, même si on refuse aussi d’en
être dupes, sachant trop bien dans quels contextes elles sont émises.
L’industrie de la confiance
On se plaint aujourd’hui (à juste titre parfois) de la multiplication des
discours anxiogènes, qui distillent des peurs pas toujours bien
mesurées. Mais il faut voir à l’inverse, que les messages promettant
le bonheur sont encore plus nombreux, émanant par exemple de la publicité ou de
la politique.
Le public adhère volontiers à ces messages euphorisants, à ces
promesses alléchantes, si bien qu’à force de répétition, même des
discours superficiels, stéréotypés, et à la réflexion peu convaincants
peuvent laisser leur empreinte. Malgré l’évidente vacuité des promesses
et des pseudo bonheurs vantés par les slogans, la machine à rêver
continue à bon train.
Car dans le monde actuel qui pousse à l’individualisme et multiplie les
sujets de méfiance, il est important de cultiver par tous les
moyens la confiance qui aidera chacun à affronter le stress de
la compétition
ou l’instabilité du changement permanent. Toute
une industrie de l’espoir s’y emploie, et peu importe si l’inflation
médiatique vide les messages de leur sens. L’individu contemporain
trompe ainsi son inquiétude dans le divertissement ou le rêve
publicitaire, ou lorsqu’il n’y succombe pas, souscrit à de multiples
assurances et se rassure par de équipements de sécurité (ces
deux branches d’activité étant remarquablement prospères).
On notera au passage que par un singulier paradoxe,
la même doxa
économique qui pour les subalternes condamne la routine et
juge stimulante la flexibilité (euphémisme pour instabilité), valorise
(pour ne pas dire fétichise) la confiance ou l’espoir propices à
l’entreprise et à la dynamique des marchés, où paraît-il sont pourtant
récompensés ceux qui font preuve d’audace ou de sens du risque. Ainsi les dirigeants
veulent-ils pour eux et pour leurs actionnaires de multiples garanties
alors qu’ils demandent à leurs employés ou sous-traitants de renoncer à
la sécurité que des lois protectrices accordent aux petits.
On observera avec quel soin est calibrée la communication des
dirigeants (surtout en contexte de crise). Les investisseurs justifient
leurs revenus par le risque qu’ils prennent, mais prétendent ne pas le
craindre lorsqu’ils cherchent des partenaires, mettant en avant les
systèmes de prudence, ou les avis des agences de notation. Mais la
psychologie de la confiance, qui est par ailleurs contagieuse, conduit
parfois à des dénis de réalité ou des aveuglements collectifs, et les
bulles qui éclatent finissent un jour par faire des perdants.
Il est maintenant clair que la confiance accordée
par le système financier aux agences de notation était mal placée
: Ces agences sont des institutions à fabriquer (ou à détruire) de la
confiance, qui synthétisent selon des procédés opaques un surimi
d’informations économiques. On les décrit souvent comme un thermomètre
de l’économie, mais elles ressemblent plus à la grenouille du météorologue
d’antan. Alors que c’était leur rôle, elles n’ont pas vu
venir à temps certaines des crises majeures de l’histoire économique,
en grande partie à cause de conflits d’intérêts et à un mode de
fonctionnement privé quasi-monopolistique.
Un élément d’explication est proposé par Frédéric Gros (auteur cité
plus haut) qui pense que la mentalité américaine,
dominante dans le monde des affaires, a été marquée par le darwinisme
social et développe un optimisme de la catastrophe qui donne un certain
goût du risque. Il mentionne à ce propos la mode du mot
résilience, qui souligne la face positive du malheur.
Résister aux sollicitations
L’idée que l’homme est un loup pour l’homme est certes largement
répandue, mais on peut aussi mesurer l’importance de rapports
bienveillants au nombre de fois où notre confiance est sollicitée, le
plus souvent avec démonstrations à l’appui. Même si la confiance est
nécessaire à la marche harmonieuse de la société, de même qu’à
l’économie (puisqu’elle permet l’endettement), la question n’est au
fond pas tant de produire de la confiance que de savoir si elle est
bien placée. A qui ou à quoi faire confiance ? à la morale
des personnes, des groupes ou de la foule? aux promesses des
publicitaires ou des marchands ? à l’information des médias ? à la
parole politique ? aux experts de l’opinion ou de l’économie ? aux
vertus du marché et à leur équilibre « naturel »? à l’expertise scientifique
et technique? à la sagesse
de l’opinion ? à
l’impartialité des institutions et à leur sens de la justice ?
Devant une multiplicité
de messages souvent biaisés par les intérêts, nous avons appris
à être circonspects. On peut même dire que le foisonnement de discours
optimistes est pour une bonne part le pendant obligé de l’augmentation
des sujets réels d’inquiétude. Une confiance fondée sur
une harmonie sociale réelle et sur la bonne marche des choses est bien
évidemment préférable à la confiance factice proclamée par le choeur
des communicants. Lorsque les problèmes sont difficiles et que
la fièvre médiatique exacerbe les attentes, il devient illusoire
d’attendre le retour de la sérénité. Pour cela il faudrait que des voix
compétentes et désintéressées puissent être reconnues et entendues, ce
qui est difficile lorsque que les médias et le pouvoir démocratique ont
face à eux le poids des intérêts commerciaux.
On déplore souvent la
montée des populismes,
ou l’émergence des conspirationnismes,
qui traduisent la
perte de confiance d’une part croissante de la population dans les
médias dominants, ou dans les dirigeants que le système politique a
portés au pouvoir. Mais après le déclenchement de la crise
financière qui a disqualifié bien des acteurs, et face aux
renoncements, pour ne pas dire à l’impuissance des gouvernants issus du
suffrage populaire, la
fabrication de la confiance est en panne, et c’est dans cette mauvaise
posture que nous sommes confrontés aux alarmes sur l’avenir du
système énergétique mondial ou sur le changement climatique
(pour ne pas parler du désarroi culturel et moral induits par la
mondialisation. On aimerait au moins avoir l’impression que l’ensemble
des dirigeants, perdent un peu de leur obsession de donner confiance à
des marchés insatiables, et prennent enfin la mesure des problèmes des
peuples qui les élisent.. Ce simple fait, plus que les promesses
creuses dont nous sommes abreuvés, serait propre à redonner un peu de
confiance dans la démocratie.
Quel état d’esprit au sujet de la mutation écologique?
Pour s’attarder sur le grand défi du vingt-et-unième siècle, faut-il,
face à la perspective de la crise environnementale, avoir confiance
dans la possibilité de la surmonter ? quels espoirs peut-on entretenir
? Edgar Morin
part d’une analyse lucide de la situation et se déclare peu
optimiste, mais considère que le pire n’est jamais certain et qu’il
faut se garder de perdre tout espoir. Dans un enchaînement moins
tributaire de la providence, Hans Jonas compte
sur de qu’il appelle l’heuristique de la peur,
que Jean Pierre Dupuy reprend avec le terme de catastrophisme éclairé.
D’autres analyses plus froides et plus mitigées émanent de certains
experts (André Lebeau, le GIEC, Negawatt, ) Toutes nous disent que la solution de la crise
environnementale est techniquement possible, grâce à une
sobriété intelligemment distribuée, et à des améliorations qui sont à
notre portée dans le domaine des énergies renouvelables. La difficulté principale
est en fait de mettre en marche les sociétés vers la réalisation
de ces objectifs. Pour cela, il faut convaincre les
populations et surtout les décisionnaires politiques et économiques,
qu’il faut grâce à des efforts de pédagogie, mettre en confiance pour
amorcer la mutation.
Le simple citoyen s’interroge lorsqu’il entend aujourd’hui se croiser deux discours
contradictoires, celui des alarmes environnementales
propagées par les médias, et celui du nécessaire retour de la croissance
et de l’espoir placé dans la magie technique.
A un autre niveau, les milieux dirigeants semblent pour l’instant
accorder plus de confiance au second discours qu’au premier. Il est vrai que le progrès
technique et l’insouciance sur ses conséquences ont porté ces
deux derniers siècles une amélioration du bien être incontestable.
C’est cependant oublier que le bilan est terni par
de graves destructions environnementales et de multiples séquelles du
colonialisme, et c’est surtout préférer la doxa court-termiste
et largement autosuggérée qui fait l’euphorie des milieux
libéraux aux analyses produites par des scientifiques rigoureux et
désintéressés.
A quand le
retournement général des mentalités ?
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