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Echelle, mesure, démesure


L’espace-temps et ses différentes propriétés physiques sont mesurables. Mesurer une grandeur physique, c’est la quantifier pour la rendre intelligible à l’esprit humain, permettre son analyse et son traitement en fonction d’une théorie hypothétique ou confirmée. La mesure est l’opération qui permet la prise en compte du phénomène par le scientifique. Grâce aux développements de la science et de la technique, nous sommes devenus familiers avec la manipulation des mesures immenses ou infinitésimales qui permettent aujourd’hui de décrire les échelles emboîtées de l’univers. Mais si notre domaine de compréhension en est considérablement étendu, nous sommes pourtant loin de maîtriser réellement l’ensemble de nos actes et de leurs conséquences. Aujourd’hui, on parle souvent de la démesure (hybris en grec) des actions ou des ambitions humaines, et cela marque que certains seuils sont dépassés.

Echelles physiques, échelle humaine

Si la technique et la science nous permettent d’appréhender les échelles extrêmes, il faut garder en tête que nous ne sommes réellement sensibles qu’aux phénomènes que nos sens peuvent percevoir, et que ceux-ci correspondent à certaines échelles (durée, distances, masse, énergie,…). Nous ne comprenons les très grandes ou très petites quantités qu’au prix d’un effort notable de raisonnement, donc de façon indirecte et souvent abstraite.
Nous avons par exemple une bonne perception des températures proches de notre température propre, et sommes capables d’apprécier dans cette plage des différences assez minimes. Mais nous serions incapables de relier mesure, compréhension et perception à d’autres températures très basses ou très élevées (pour nous). De même, manipuler les millions d’années pour raconter l’histoire de la terre ou de la vie, réfléchir aux premières fractions de seconde du Big Bang, s’intéresser à des distances chiffrées en unités astronomiques ou en années lumières, c’est se donner la capacité de traiter rationnellement des données aux échelles cosmiques, mais nous avons d’énormes difficultés à en saisir réellement la teneur. Il nous faut un raisonnement laborieux pour comprendre qu’après les expéditions sur la Lune, les voyages plus loin dans le système solaire, et à fortiori vers des étoiles proches ou d’autres galaxies sont d’une tout autre nature. La vulgarisation dans les média ou les imageries de la science fiction entretiennent pourtant par leur simplisme bien des illusions.

Ainsi, en abordant les questions concrètes qui transgressent nos échelles familières, la bonne mesure de ce qui importe (hiérarchies, priorités, risques, légitimité des approximations inévitables, etc…) ne nous apparaît pas immédiatement. Notre tendance innée à extrapoler aux mondes extrêmes ce que nous connaissons dans notre monde familier peut être source d'erreurs. Cette difficulté se manifeste dans notre appréhension des microphénomènes (nano ou biotechnologies) ou à l’opposé les grands nombres et la collectivité (sociétés, humanité sur la Terre). Il faut passer par des raisonnements abstraits pour apprécier la toxicité à faibles doses, ou savoir si tel ou tel petit geste écologique individuel a réellement du sens face à l’ampleur des questions environnementales.

Le déroulement du temps nous pose aussi ce genre de problèmes: nous saisissons mal à quel point l’histoire de l’humanité et celle de notre civilisation sont longues par rapport à la durée de vie de chacun de nous, mais courtes comparées aux temps géologiques ou aux durées d’évolution de la Nature. Il faut nous forcer pour comprendre que la crise écologique contemporaine qui se développe sur plusieurs générations est un choc brusque à l’échelle de la Nature qui appelle une évolution sociale anormalement rapide.

Précision et complexité

Il y a sinon des échelles, du moins des degrés de précision. Dans certains cas, il est essentiel de déceler les infimes variations qui permettent de confirmer un théorie ou de prévoir des phénomènes plus amples. Dans d’autres cas, on se situe à l’intérieur d’une marge de bruit, et la précision illusoire des mesures alimente une spéculation sans fin. Souvent, ces phénomènes s’ils existent, ne sont réellement perceptibles qu’avec le temps, mais il nous est trop difficile d’attendre pour consolider nos connaissances et nous en sommes réduits à chercher des conclusions à partir de fluctuations dénuées de sens.

Notre curiosité inépuisable et la puissance de nos moyens de recherche nourrissent parfois de telles précisions illusoires 
: par exemple, la supposée précision de sondages politiques ou de données sur l’économie, suscite d’interminables commentaires médiatiques sur des microévolutions passagères. Il y a peu, des astronomes ont cherché à calculer l’évolution sur le très long terme des orbites planétaires dans le système solaire, et leurs annonces concernant une possible collision entre Mars et la Terre après quelques milliards d’années a été commentée. Le propos de ces scientifiques n’était en rien de mettre en garde qui que ce soit contre un cataclysme au demeurant très faiblement probable, mais en fait d’évaluer les performances de modèles de calculs.

Dans cet ordre de difficultés,  nous avons beaucoup de mal à comprendre ce que signifie une hausse de quelques degrés de la température moyenne de la biosphère (quand nous voyons quotidiennement des variations de plusieurs dizaines de degrés) ou à nous représenter l’élévation du niveau moyen de la mer de quelques centimètres par an, alors que les vagues et les marées vont en permanence bien au delà.

De même, les degrés de complexité que nous sommes réellement capables d’appréhender ont certaines limites. Le recours à des concepts émergents permet parfois de raisonner utilement sur la globalité de réalités extrêmement complexes au niveau élémentaire, mais en général, ce saut conceptuel se paye d’une incertitude plus grande, d’une difficulté prédictive supplémentaire dont nous ne tenons pas toujours compte.

Agir dans les limites de notre domaine

Ainsi, notre compréhension se situe majoritairement à certaines échelles (comme on dit familièrement l’échelle humaine), liées à ce qu’un être humain est capable de faire concrètement dans sa vie. Au départ, dans les groupes humains des origines, l’action des hommes se situait également dans ces domaines, et les hommes pouvaient donc assez simplement juger des effets de leurs actions, et en mesurer l’ampleur de façon à l’optimiser. Mais les civilisations agricoles et industrielles, avec la multiplication des humains et l’accroissement de leur pouvoir technique, nous ont amenés à un stade ou notre action dépasse les échelles auxquelles nous avions été habitués à travailler. Dans cette nécessité urgente de contrôler ce que peuvent faire les hommes, deux risques doivent être évités:
  • chercher à agir directement à l’échelle des problèmes posés (à l'échelle de l'ensemble de la biosphère terrestre dans les décennies à venir) et partir ainsi dans des actions démesurées ou trop risquées : modifier les réglages de la machine terrestre par la géoingénierie par exemple, ou chercher à reproduire les réactions nucléaires du soleil à l’échelle industrielle, etc…)
  • à l’opposé, une autre erreur d’échelle consiste à préconiser des actions faciles à identifier, mais limitées et mal hiérarchisées, trop petites pour être à la hauteur du problème. Là non plus, prendre la mesure réelle de ce qui peut et doit être fait est complexe, car l’ampleur de l’action globale est le produit d’une action élémentaire faible par un grand nombre évalué de façon spéculative.
L’humanité, même technicisée et mondialisée, devrait garder à l’esprit que certaines échelles de phénomènes sont en réalité hors de son domaine de maîtrise et ses décisions devraient en tenir compte, et en même temps, elle doit être capable de corriger dans son action ce qui produit indirectement la crise planétaire.

Au stade où nous sommes actuellement, une des véritables difficultés de l’action humaine est d’apprécier à partir de quel dépassement d’échelle, à partir de quel degré d’incompréhension notre envie d’agir doit s’effacer au profit d’une abstention prudente. La difficulté est d’autant plus grande que ce genre de décision est collective, que les appréciations divergent et que ceux qui sont mandatés pour trancher ne peuvent apprécier les enjeux que par l’intermédiaire d’experts spécialisés qui sont souvent juges et partie.

Citons deux exemples de cette difficulté: dans le domaine des grandes puissances, le projet ITER de fusion nucléaire, supposé contrôler des niveaux énergétiques incommensurables dans un délai lointain et improbable et répondre ainsi aux urgences contemporaines, a reçu un accueil favorable révélateur de l’incapacité du politique à saisir ces enjeux aux bonnes échelles. A l'opposé, le travail des microbiologistes sur la structure fondamentale de la mémoire génétique suscite un mélange d'espoirs et de craintes qui vient de ce que nous percevons très mal la subtilité et la complexité des enjeux, surtout si on réfléchit à ce que ces travaux sont susceptibles de produire à très long terme. On n'accélère pas sans risques le mécanisme de l'évolution biologique, mais la complexité des systèmes vivants nous rend impossible une évaluation satisfaisante de ces risques.  Les débats publics sont nourris de tels cas où il devient très difficile de prendre la mesure réelle des choses et d’apprécier correctement les priorités. Une sagesse salutaire devrait consister à reconnaître les limites de notre connaissance et à s'abstenir d'agir sans savoir.



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