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Jardin


Au début dit la légende, l’Homme et la Femme vivaient heureux au jardin d’Eden. Ce lieu de délices était le jardin de Dieu mais, en ayant été chassé, l’homme a dû créer sur Terre son propre jardin et le cultiver « à la sueur de son front ». Le jardin n’est pas la nature spontanée, c’est une nature apprivoisée, conformée par l’Homme pour répondre à ses besoins. Le jardin n’est qu’une des formes de culture, celle où l’homme est le plus présent: pas de jardin sans jardinier. Il se distingue de l’agriculture en plein champ par la surface traitée et la variété des plantes. Cela tient en grande partie à la question de l’eau, car le jardin est arrosé. Certaines agricultures comme les bocages d'Europe ou les rizières d'Indonésie se rapprochent parfois du jardinage. Ainsi, le biologiste Francis Hallé fait l'éloge de l'agroforesterie tropicale (évoquée aussi par Jared Diamond) qui consiste en un détournement progressif de la forêt tropicale au bénéfice des hommes, qui favorisent par leurs interventions les productions qui les intéressent, qu'elles soient nourricières, pharmaceutiques, textiles ou autres. Cette forme subtile et durable d'agriculture qui remonte à des temps très reculés respectait la biodiversité tropicale mais elle avait été ignorée par les colonisateurs, avides de profit maximal et conditionnés par le modèle des grandes monocultures productivistes.

Si la terre des champs est parfois ingrate, il n’en est pas de même du jardin, qui est généreux. En quelque sorte, c’est le bien-être que procure la Nature soignée par l’Homme. Car contrairement aux préjugés des agronomes de l'agroindustrie, ces formes de culture, qui tirent profit de la complexité écologique sans la détruire peuvent aussi (notamment sous les tropiques) être assez productives pour nourrir de fortes densités de population (comme le montre l'exemple de Java).

La première idée qui vient à l’esprit est celle du jardin nourricier (jardin potager, jardin fruitier), mais il y a aussi de nombreux jardins d’agrément ou d’ornement, où la nature est aménagée et organisée pour le plaisir des yeux et les joies de la promenade. Il y a aussi des jardins pour la connaissance ou l’étonnement (jardins botaniques, jardins expérimentaux, jardins exotiques).

Si on en croit l’étymologie, le jardin est généralement clôturé. Le territoire du jardinier est donc limité, il est proportionné aux possibilités d’arrosage, à la capacité de travail de celui qui l’entretient, et la clôture empêche l’intrusion de certains prédateurs (sauvages ou domestiques). Le jardinier n’est d’ailleurs pas le seul animal utile au jardin. Dans son travail pour la santé de ses plantes, il a des alliés : hérissons, oiseaux, vers de terre, insectes pollinisateurs, coccinelles, entre autres. Le jardin est donc un microcosme, œuvre du jardinier, qui le conduit, et qui est responsable de sa santé. Le bon jardinier organise sur son domaine un équilibre à long terme, plus productif que la nature vierge. Il est lié par un pacte fructueux avec l’écosystème qu’il entretient.

Le jardin n’est pas qu’une métaphore humaine du paradis perdu. Le Candide de Voltaire trouve la paix en cultivant son jardin, et la littérature abonde en jardiniers philosophes, car le jardin est une école de sagesse. Cette relation entre le jardinier et le jardin suscite la réflexion philosophique. En effet, c’est par son expérience, sa connaissance de la Nature qu’il a en charge, que le bon jardinier entretient avec son territoire une relation harmonieuse et productive. C’est un observateur prévoyant et attentionné, un sage qui connaît les limites de son pouvoir. L’expérience et la sagesse du bon jardinier devraient faire réfléchir à l’attitude de l’Homme sur la Terre. Pour le paysagiste Gilles Clément, ayant atteint les limites de notre planète, et l’ayant largement anthropisée, nous sommes maintenant sur la Terre comme dans un jardin dont nous sommes responsables. Après une phase d’expansion où il mangé ses réserves sans réfléchir à leurs limites, l’Homme doit maintenant apprendre à se penser comme le jardinier de sa planète :
  • penser dans les limites de son morceau de Nature, mesurer ce qu’il peut en retirer,
  • en comprendre et respecter les cycles, apprendre à diriger la vie sans trop la contraindre.
  • penser avec le temps. Celui des jours et des saisons, mais aussi le long terme : un jardin fraîchement planté ne devient harmonieux et accompli qu’après plusieurs années de soins mesurés.
Il faut donc notamment cesser de nous comporter comme ces jardiniers débutants ou trop pressés qui détruisent leur terrain par manque de confiance dans son potentiel, le réaménagent à coup d’artifices à courte vue, et n’en retirent souvent que des récoltes éphémères ou empoisonnées. Dans le passé, lorsque les sols étaient fatigués, on changeait parfois de territoire, laissant la forêt reprendre ses droits et régénérer le sol, et plus tard, on apprit aussi l’usage de la jachère. Mais aujourd’hui, l’humanité n’a plus de territoire nouveau à défricher Elle constate les limites d’efficacité des artifices qui avaient fait un temps illusion. Il lui faut réinventer un modèle de jardinage à l’échelle planétaire à la fois productif et durable.

La métaphore philosophique du bon jardinier donne un exemple de complexité bien maîtrisée
. Alliance d’expérience accumulée, de connaissances empiriques ou raisonnées, de sens de la mesure et de volonté, elle ne concerne pas que le rapport de l’homme à son territoire. Elle peut aussi éclairer la façon dont l’homme exploite ses propres ressources. On peut faire des parallèles entre les formes d’organisation socio-économiques et les formes d’agriculture. Où voulons nous trouver notre bonheur ? Dans des sociétés planifiées gérées comme  la grande monoculture productiviste, ou dans le laisser faire néolibéral qui appelle au foisonnement sauvage de la jungle (ou plutôt au désordre de la friche) ? N’y a-t-il que ces deux modèles ? Ne serait-il pas plus sage d’envisager la société comme un système varié et complexe, comme un paysage de polyculture, un bocage, un jardin associant biodiversité, productivité et durabilité ? Ne serait-il pas préférable d’avoir des dirigeants moins exploitants, moins prédateurs et plus jardiniers ?

Enfin dans cette façon qu’il a de vouloir régenter la Nature, on peut parfois se demander si, lorsqu’il cultive son propre corps, l’Homme ne s’aventure pas un peu loin. Où est la limite raisonnable dans de telles pratiques ? Quelle idée nous faisons nous de la bonne santé, et à quoi utilisons nous la science médicale ? Peu à peu, nous avons commencé à nous jardiner nous-mêmes, mais pour quoi faire? Voulons nous faire de l’espèce humaine un champ de maïs, un parc ordonnancé à la française, un gazon de golf dopé dans le désert? On ose espérer des modèles plus sages et plus heureux.



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