Evolution
La
richesse chimique de notre planète, alliée aux conditions
physico-chimiques favorables régnant à sa surface, ont donc fait émerger la vie,
phénomène combinatoire complexe autoreproducteur,
cyclique et surtout évolutif. En effet, la vie, qui fonctionne sur
des cycles courts (saison, années),
se reproduit avec une légère
variabilité, qui combinée à la sélection environnementale, produit une
évolution à très long terme favorisant ce qui peut durer. Ainsi, on
voit apparaître dans la Nature divers types de «
stratégies » ou plus
exactement de réponses adaptatives : rapidité de la reproduction,
tolérance aux conditions difficiles, variabilité évolutive, adaptation
fonctionnelle élaborée, notamment.
Des centaines de
millions d’années de vie sur la Terre ont ainsi fait apparaître une
grande variété de formes vivantes, selon une histoire évolutive
qui va
dans certaines branches vers une complexité croissante. Au cours de
cette histoire très longue et mouvementée (à l’échelle des organismes)
s’est formée une organisation en écosystèmes complexes, au sein
desquels interagissent des organismes étonnamment divers. La vie sur
Terre est cependant extrêmement unitaire, par les interdépendances
liant les organismes au sein des cycles de la vie, par la chimie
complexe des chaînes carbonées, et par le codage universel par l’ADN.
L’évolution
est en réalité indissociable du fonctionnement cyclique répétitif.
C’est par la reproduction (presque) à
l’identique que la vie se
perpétue, tout en s’adaptant aux changements de ses conditions. C'est
cette logique qui explique que le hasard des "erreurs" de reproduction
et la variation des conditions de survie produise un ordre à partir du hasard. C'est bien sûr ce facteur
hasard, incompatible avec l'idée de Dieu,
qui oppose les religions au Darwinisme.
Ce processus darwinien d’évolution est caractérisé par son extrême
lenteur puisque le filtre de la sélection ne peut influer sur les
hasards de la variation génétique que sur des durées très longues. Par
contraste, on qualifie de lamarckien un processus d’évolution
poursuivant des « buts », en référence à Lamarck qui avait
avant Darwin proposé une théorie de l’évolution dans laquelle « la
fonction crée l’organe ». Bien que la controverse entre Lamarck et
Darwin soit maintenant tranchée par le monde scientifique en faveur de
Darwin, il existe des domaines comme les bactéries, ou certains
végétaux, où il soit possible de mettre en évidence une forme
d’évolution lamarckienne, en ce sens que certaines mutations héritables
permettant la survie sont effectivement induites par le facteur
environnemental qui la menace. L’aptitude à la résistance de ces
bactéries, ou la faculté des plantes immobiles à survivre dans des
environnements changeants semblent tenir à cette forme d’évolution qui
ne se résume pas aux simples effets de la pression sélective.
Un tel processus lamarckien est aussi à l’œuvre si, comme Stephen Jay
Gould ou JF Kahn on étend cette loi universelle de la vie à l’évolution
des sociétés humaines et des civilisations. C’est le propre de
l’homme
(s’il en faut un) que d’évoluer de façon
accélérée
en s’adaptant par sa
civilisation et non plus par sa biologie, en relayant l’évolution
naturelle par l’histoire humaine.
Ce changement de nature de
l’évolution et cette accélération (le passage des échelles de temps
cosmiques aux échelles de temps historiques) ont fait l’anthropisation
de la planète et notre fierté, mais sont à la racine de constats
inquiétants.
Nous percevons aisément le
fonctionnement en cycles et
certaines interdépendances, ainsi que la grande permanence de la
Nature. Par contre, nous
avons mis du temps à admettre l’existence
de
l’évolution, du fait de sa lenteur à notre échelle. Nous avons aussi du
mal à saisir la grande unité de la Nature, héritée de
l’évolution,
histoire commune de tous les êtres vivants qui nous fascinent
surtout
par leur extrême variété.
L'évolution
darwinienne est-elle assimilable à un progrès ? Cette question
revient à poser celle d'un sens de l'évolution. La réponse dépend
alors
des critères choisis pour classer les produits de la Nature et jauger
ce progrès. Au début les théories biologiques de l'évolution ont été
une nouvelle façon de définir une échelle des espèces, au sommet de
laquelle trônait l'homme, dont les organisations sociales et les
civilisations pouvaient être vues comme l'aboutissement d'un progrès
inexorable en complexité. Ce point de vue est peut-être légitime, mais
il est marqué par l'anthropocentrisme. C'est lui qui justifie l'idée
d'un Créateur favorable à priori à notre espèce.
Mais pour les
biologistes les plus rigoureux, qui ont eu fort à faire pour
défendre leur science contre les tenants de la vérité biblique, l'homme n'est pas une
espèce à part (sauf peut-être par son impact environnemental) et aucune espèce
actuellement vivante n'est plus évoluée qu'une autre. Amibes et
vers de terre, malgré leur apparente simplicité (notamment cérébrale),
ont "évolué" aussi longtemps que les autres espèces, et leur stabilité
morphologique ancienne peut aussi être vue comme signe d'une excellente
adaptation. Il n'est pas encore certain qu'on puisse en dire autant des
hommes.
Si par ailleurs on place l'appréciation au niveau des écosystèmes, en
termes de durabilité et de richesse biologique, on doit alors se
demander lesquels sont les plus "performants" (et selon quels critères)
de ceux où l'homme est fortement intervenu ou de ceux qui n'ont que
très peu été anthropisés.
La Nature
produit, mais ne juge pas. Il lui arrive d'ailleurs parfois de
détruire ce qu'elle a créé, et nous avons du mal à donner du sens aux
grandes extinctions qui ont à plusieurs reprises marqué l'histoire de
la vie sur Terre. Nous pouvons nous effrayer de la grande crise du
Permien, ou compatir à l'extinction des dinosaures, et y remettre du
sens en pensant qu'une des conséquences (parmi bien d'autres) en a été
l'émergence de notre espèce. Mais alors, l'idée d'une humanité
irresponsable agent d'une mise en danger de la biosphère et de son
propre avenir devient absurde (voir Hans Jonas).
Prendre conscience de ce que
cette «
créativité » admirable de la Nature l’est d’autant plus
qu’elle est le
fruit de centaines de millions d’années d’évolution à la surface de la
Terre devrait nous rendre cette Nature, avec sa grande richesse,
particulièrement respectable et précieuse. Reconnaître l’unité
engendrée par les cycles et les dépendances autant que par la chimie de
l’ADN devrait nous interdire de nous penser hors de la Nature (voire
même en opposition à la Nature). Inclure l’histoire des
hommes dans
la
continuité de celle de la Terre devrait aider à penser à moins courte
vue.
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