La fin du XXe siècle a vu s’opposer l’accélération de la
modernisation à l’émergence des doutes sur la modernité. Sans occulter les
inquiétudes que suscite l’avenir, il faut essayer de le penser
positivement et tirer lucidement les leçons de deux siècles dominés par
un anti-passéisme quelque peu borné. En s’appuyant sur un ensemble d’auteurs
choisis, on peut résumer ce programme dans les points suivants:
· Retrouver
les fondements d’un système de valeurs
morales adaptées à l’homme d’aujourd’hui,
viables et capables par leur universalité de rassembler les sociétés humaines
(voir notamment Hans Jonas avec le Principe Responsabilité, et Edgar Morin dans
Terre-Patrie).
· Pour
cela éviter quelques écueils :
celui des philosophies du déterminisme collectif déresponsabilisantes, celui
des philosophies individualistes nihilistes égoïstes ou relativistes, celui du
retour aux mystiques religieuses, celui des extrapolations abusives de la
science (darwinisme social, utopies scientistes, détournements de Freud) (voir
P.A. Taguieff, Le sens du Progrès)
· Mieux
comprendre le fonctionnement complexe de la biosphère et l’influence des hommes, et mesurer notre
activité à la capacité d’absorption et de régénération de la planète (nombreux
ouvrages)
· Par
un retour sur l’histoire de l’homme et des idées, sortir des grilles d’analyses
obsolètes. Eviter notamment de confondre humanisme et anthropocentrisme
(Pascal Picq) et intégrer notre rencontre avec les limites planétaires.
· Désemballer
le moteur fou de l’économie en remettant
cette discipline à sa juste place, notamment en pensant l’avenir de l’humanité
dans des termes plus globaux et plus humains que le strict
« bonheur » individuel et monétaire (nombreux ouvrages dont J.
Généreux, La Dissociété)
· Repenser
l’évolution de la technique en termes
moins immédiats et plus humanistes, en mettant dans la balance non seulement
les possibilités qu’elle offre, mais aussi ce qu’elle consomme ou détruit,
matériellement, socialement et culturellement (voir Ivan Illich, Siegfried
Giedion, André Gorz ou Jacques Ellul, voir également Nicholas Georgescu-Roegen et André Lebeau)
· Sortir
de l’histoire réduite à un progrès linéaire et univoque, s’orienter vers une
utopie de l’équilibre plutôt que vers une utopie du dépassement.
· Apprécier
et entretenir la diversité culturelle
menacée par une marée de sous-culture véhiculée par le commerce planétaire.
Cette diversité, issue des différences géographiques et humaines ainsi que de
la richesse d’une longue histoire est un patrimoine précieux de l’humanité.
· Améliorer
et créer les outils politiques pour une humanité mondiale en paix avec sa
planète.
· Partager
les savoirs et les réflexions, agir en
conséquence dans sa sphère d’influence ou de pouvoir.
Constater que les notions de modernité et de progrès ont une
histoire, et qu’elles peuvent être
repensées. Aujourd’hui, il n’est plus possible de penser l’avenir comme une
simple prolongation des deux derniers siècles, notamment parce que cela nous
mène à la crise écologique et sociale.
Apprendre à penser général (sortir des spécialités myopes)
mais cependant complexe. Trouver les
bonnes analogies, apprendre à hiérarchiser les facteurs, déceler les biais dans
les raisonnements trop simples, mais ne pas pour autant renoncer à concilier
rigueur logique et globalité du jugement.
Faire le tri dans les idées reçues, repérer par quels canaux
elles circulent, notamment comprendre
comment les médias fonctionnent, comment la publicité véhicule des valeurs de
manière explicite, inconsciente ou sournoise, (par exemple, la survalorisation
de la compétition, la confusion entre nouveauté et progrès, entre célébrité et
valeur, etc…).
Tenir compte de l’inertie du collectif, à la fois pour anticiper les urgences, et pour
être patients dans nos attentes.
Trouver les bons cercles pour agir, produire des exemples, propager les idées.
Prendre conscience que toute évolution radicale doit accepter des états intermédiaires
contradictoires, et que ces imperfections
ne doivent pas pour autant disqualifier toute évolution, si on est par ailleurs
certain qu’elle se fait dans le bon sens. L’idéalisme est une
boussole pour savoir où aller, le pragmatisme permet d’avancer pas à pas. Un pragmatisme sans un bon projet est une illusion
à courte vue, un idéalisme qui refuse les états intermédiaires se paralyse et
prend le risque d’une évolution chaotique sans contrôle.