Figure de rhétorique consistant à associer deux
contraires, les
oxymores sont souvent employés dans le domaine politique. Ils
permettent en
effet de satisfaire tout le monde, sans pour autant trancher les
débats.
Ils révèlent la schizophrénie de notre époque, tiraillée entre l'envie
de poursuivre la logique de l'économie triomphante et la prise de
conscience écologique. Présentés parfois comme une forme d’élégance de
la pensée, les oxymores
politiques confinent en réalité à l’escroquerie intellectuelle. Il est
vrai
aussi que ce genre de ruse sémantique a des vertus diplomatiques et
peut
parfois permettre de faire bouger les lignes.
Dans un contexte de crise, ces contraires rassemblés dans des
expressions paradoxales mais apparemment bien trouvées permettent de noyer le
poisson, de retarder la décision, d’éviter le moment de trancher. Comme on dit,
« il
est urgent
d’attendre ».
Voici très brièvement commentés quelques-uns de ces oxymores
visibles ou cachés, révélateurs des choix difficiles de notre époque.
C’est le type même de l’expression consensuelle, mais piégée, l’idée de développement est au fond assez voisine
de celle de croissance matérielle. Or dans notre monde fini, celle ci ne peut
durer sans tendre vers zéro. Lorsqu’on cherche à trancher cette question, on
bute sur l’ambiguïté du mot développement comme sur celle du mot durable. Le
malentendu (et le consensus flou) sont inhérents à cette expression.
C’est un oxymore véritable si on pense que ce qui est
« vert » est incompatible avec la croissance, donc si on assimile la
doxa écologiste à la décroissance. Ce peut aussi être un oxymore véritable si
on pense à habiller en vert une croissance dans la même logique que celle
qui a prévalu dans les riches heures de l’industrialisation. Comme
développement durable, cette expression est un collage de deux mots à
connotation positive, typiquement dans la logique de tous ces slogans
politiques au contenu flou.
Si propre signifie non polluant pour la Nature tout au long du
cycle de vie, il n’y a pas de voiture propre. On peut juste espérer que la
voiture en tant qu’objet industriel soit le moins sale possible, pour sa
fabrication comme pour son usage et son recyclage, et que son utilité soit bien
raisonnée dans le cadre de ce qui est supportable pour l’équilibre avec une
nature en bonne santé. Si la voiture propre est un raccourci pour transport
individuel motorisé écologiquement correct, cela a un sens, mais pour
l’instant, on en est surtout à réfléchir à des voitures « moins
sales » ce qui est déjà un progrès.
Le consommateur est-il réellement un acteur? On peut en douter.
L’initiative pour proposer un produit, pour en définir les caractéristiques et
le prix appartient au producteur. Certes, le marché organise une interaction
entre le producteur et le consommateur mais dans le système industriel actuel,
le consommateur est relativement passif ou tout au moins réduit à une posture
réactive. C’est cette passivité, poussée à l’excès qui a fait réagir les
mouvements de défense des consommateurs, et tente de faire émerger un
consommateur actif, décisionnaire dans le cycle production consommation.
Sans être rigoureusement un oxymore, le rapprochement inattendu
de l’humain et de la ressource dans la novlangue économiste a un côté
paradoxal. Pour le dirigeant d’entreprise, les ressources, ce sont normalement
des choses, des sommes d’argent, des minerais, des installations techniques.
Inclure les hommes, les employés, le personnel dans cette catégorie permet de
les dépersonnaliser, d’éviter d’avoir à penser leur gestion en termes de
morale, de faire prédominer la logique de l'argent. Le chef du personnel avait
affaire à des humains, le DRH soumet l’humain à la logique économique de
l’entreprise. Pour lui, l’humain devient de la matière première. On sait où
cela peut mener.
La discrimination exclut, elle rejette. Elle est donc plutôt
négative. C’est une trouvaille de la politique d’avoir retourné ce concept en
faisant cette fois-ci des distinctions pour promouvoir, pour réparer des
injustices. A partir de là la discussion s’amorce pour savoir si la justice y
trouve effectivement son compte (puisqu’on déroge au principe d’égalité), ou si
ce privilège de réparation ne se retournera pas à son tour contre son
bénéficiaire.
Sous cet habillage noble on suggère que le plus grand bonheur
est accessible à tous. C’est évidemment une expression mensongère, qui a été
inventée pour entretenir la fièvre consommatoire en élargissant les marchés. Le
luxe est par essence un privilège, et n’appartient donc qu’au petit nombre.
Accessible à tous, il se dévalorise, puis engendre un phénomène d’escalade. Au
moment où il nous faut retrouver une certaine sobriété, il devient évident que
l’idée d’un « luxe démocratique » peut conduire à bien des
gaspillages .
Paradoxe pour paradoxe, il n’est pas interdit de voir cette
expression comme un oxymore, car en face du gagnant, on attend plutôt un
perdant. Cette formule cherche à créer la surprise en soulignant que les deux
parties qui entrent en jeu peuvent être gagnantes sans que la partie adverse en
soit lésée. Les économistes adeptes de la « théorie de la justice »
de Rawls, et après eux les politiciens ont une affection particulière pour
cette recette magique censée convaincre tous les partenaires d’une négociation,
d’une réforme, etc…
En écologie, il y a aussi du gagnant-gagnant, lorsqu’on explique
que la reconversion écologique sera génératrice d’emploi, engendrera un
mieux-être avec moins de pollutions, plus de temps pour soi, une vie plus en
rapport avec la Nature, etc… On insiste moins sur les regrets pour renoncer aux
puissants moteurs qui suppléent à notre paresse, pour se passer de la magie des
nombreux et futiles gadgets proposés par l’innovation industrielle ou pour
abandonner le régime alimentaire trop riche et trop carné de la société
postmoderne, etc…Toutes ces « merveilles » ne mènent pourtant pas
nécessairement au bonheur qu’on nous fait miroiter et ce renoncement que nous
préférons ne pas affronter n’est peut-être pas un sacrifice si inquiétant.
Cette expression paradoxale, inventée par les économistes modélisateurs confine aussi à l'oxymore. Le marché, institution on ne peut plus humaine et sociale a nécessairement les "imperfections" de son humanité et il en est de même pour les situations de concurrence. Cet idéal qui permet aux théoriciens de se livrer à quelques spéculations mathématiques poussées finit pourtant par devenir une sorte de modèle politique. Lorsqu'il s'agit de donner quelques règles aux opérations boursières, on peut encore penser qu'il s'agit de l'intérêt collectif, mais lorsqu'on érige en dogme la concurrence parfaite à l'échelle européenne ou même mondiale, le décalage absurde entre la perfection du modèle et les sociétés auxquelles on veut l'appliquer devient flagrant. Le comble du libéralisme doctrinaire est atteint lorsque pour faciliter ces jeux de concurrence, on facilite les mouvements financiers en faisant tomber les barrières et en augmentant la fluidité de l'argent.
Pour mesurer à quel point ces hypthèses sont irréelles, il suffit de constater qu'en général, on ne parle pas d'homme parfait (homo perfectus), ni de démocratie parfaite.
Comme ci-dessus, on peut considérer qu’il s’agit d’un oxymore caché car pour les économistes, le marché, c’est la confrontation des égoïsmes, donc plutôt le contraire du social. Au mieux, il s’agit d’un compromis entre des logiques opposées, celle de l’équilibre du laisser-faire et celle de l’harmonie par la régulation. Comment politiquement trouver et maintenir cette improbable alliance des contraires?
Cette expression désigne les activités économiques réellement lucratives qui s'exercent sous forme prétendument dématérialisée grâce aux technologies de l'information et de la communication. Il estcertain qu'avec cette révolution technique dans la plupart des activités tertiaires, d'importantes économies ont été faites en matière de consommation de papier et d'encre, ou de transport postal. Mais il ne faut pas pour autant croire que la consommation matérielle a disparu: il semble d'après certains calculs que la consommation énergétique pour entretenir tous ces réseaux soit loin d'être négligeable, notamment pour fabriquer tous les appareils qui sont indispensables, et surtout pour refroidir les énormes serveurs informatiques qui gèrent la transmission des informations. Dans ce domaine une bonne part des économies dues au changement de système technique est perdue dans le gaspillage lié à l'abus démsuré de la commodité ainsi offerte.
A cela, il faut ajouter que la richesse mise en jeu dans ces domaines de l'économie n'entend pas rester virtuelle bien longtemps, mais qu'elle espère bien se concrétiser, le plus souvent sous la forme de cette surconsommation qui mène l'humanité à l'impasse (ce qu'Hervé Kempf démontre bien dans son livre "Comment les riches détruisent la planète")
Sans commentaire, car ces oxymores cousus de fil blanc sont des pont-aux-ânes de la propagande électorale la plus creuse.