Utopie

 
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L’utopie c’est probablement le mariage du nomadisme et du futur. C’est l’échappée dans un « ailleurs », à priori supposé idéal, à la perfection hélas lointaine. Dans la parole politique, la dimension utopique se traduit par l’abus du mot « autre » et plus récemment du préfixe « alter -». On veut être ailleurs, où l’herbe est toujours plus verte.

Au début du XVIe siècle, Thomas More décrit sous ce nom un monde idéal et donc non situé réellement, d'où le nom d'Utopia, forgé pour signifier un "ailleurs". La construction d'utopies deviendra alors un genre littéraire et politique.

Notion apparentée, mais plutôt opposée, la dystopie consiste en une anticipation pessimiste, mettant en évidence des périls à craindre et peut-être à éviter. La littérature de science-fiction est coutumière peut-être plus de dystopies que d'utopies, à commencer par les incontournables que sont "Le meilleur des mondes" de H.G. Wells et "1984" de George Orwell.

On peut voir la pensée ou la rêverie utopique comme une fuite de la réalité, mais aussi parfois comme une anticipation d’un changement souhaité (plutôt que redouté). Si le nomadisme s’adapte par nécessité aux possibilités concrètes de migration ou de changement, c’est à dire aux différentes réalités possibles et aux moyens de passer de l’une à l’autre (voyage, changements de civilisation), la pensée utopique fait en général l’impasse sur la question des transitions. C’est du reste sur ce dernier point que le consensus se déchire. C’est là qu’on voit se dessiner les clivages internes dans les mouvements politiques pourtant solides quant aux buts partagés. C’est là qu’on voit s’opposer révolutionnaires et réformistes, partisans des ruptures ou des petits pas. C’est dans ces débats que le terme utopiste peut alors prendre sa valeur péjorative.

La commodité de l’Utopie tient justement à ce qu’elle est pensée comme un ailleurs, ou comme construite sur la table rase, qu’elle ne tire sa cohérence que de son contenu propre. Dans le même temps, elle fait l'impasse sur la question du chemin à suivre. Cela n’est pas sans risque car la force de conviction qu’elle dégage peut donner envie de forcer la marche des choses. L’histoire politique retiendra ainsi comment les plus belles idées ont pu dériver en laissant derrière elles des ruines et des doutes.

En même temps, dans ce débat qui oppose doux et fous rêveurs aux réalistes et aux pragmatiques, l’Utopie, pour peu qu’elle soit bien pensée, représente une direction à suivre, un repère à long terme qui permettra de mesurer le chemin parcouru. Dans ce cas, l’Utopie cesse d’être une fuite pour devenir, sinon un but, du moins une référence.

Notre époque, échaudée par deux siècles de progressisme plutôt forcené, est une époque de doute. On se réfugie dans le court terme, pour ne pas dire la myopie, bonne excuse pour agir sans trop réfléchir.

S’il fallait aujourd’hui avoir un but lointain, cela pourrait être celui d’une humanité sage et paisible, en harmonie avec la Terre. Edgar Morin ne dit pas autre chose dans Terre-Patrie, mais, tout en appelant "un monde meilleur" qui ne soit pas le "meilleur des mondes", il remarque avec ironie et amertume qu’actuellement pour l’Humanité, le réalisme planétaire (une humanité assumant les limites de son domaine) semble encore utopique :

« le possible est impossible et nous vivons dans un monde impossible où il est impossible d’atteindre la solution possible »

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