Récupération

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Récupérer avait à l’origine le sens de recouvrer, c’est à dire rentrer en possession d’un objet perdu ou volé, retrouver sa santé ou ses forces, son énergie. Mais cette notion est devenue plus large. Deux sens actuels du mot sont particulièrement intéressants :

 

La récupération d’objets, une réappropriation économe, opportuniste et parfois inventive

Dans son sens concret, la récupération est une forme de recyclage, ou plutôt de réemploi. Elle traduit donc la volonté de ne pas gaspiller, de respecter les objets du passé et on comprend que cette notion ait à voir avec l’écologie. La récupération, ce serait ici l’anti-consommation, une des versions possibles de la sobriété. C’est un peu l’art d’accommoder les restes, de limiter les déchets en s’intéressant à leur potentiel.

Dans la récupération, l’objet réapproprié est un objet existant élaboré dans d’autres circonstances (en anglais, le terme « second hand » est parlant). En plus de l’intérêt attaché à l’économie de moyens, la récupération peut ainsi jouer sur le décalage entre l’ancienne fonction de l’objet et son nouvel usage, pour produire volontairement ou non, un effet poétique, une démonstration d’inventivité, un détournement chargé de sens.

La Nature qui est dans un perpétuel recyclage, nous donne des exemples de récupération concrète dans tous les cycles de son fonctionnement. Si on en reste au sens le plus strict, ou parlera de récupération lorsque les éléments ou les objets récupérés sont élaborés, l’aspect réappropriation ou détournement devenant alors dominant sur l’aspect recyclage de la matière après décomposition. Les bernard-l'ermite qui s’abritent dans des coquilles laissées vides après la mort de leurs occupants, et les oiseaux qui réutilisent des lieux aménagés par d’autres, ou des matériaux de provenances diverses pour construire leur nid donnent des exemples caractérisés de récupération. Mais on peut aussi rattacher à ce concept certains types de parasitisme, ou certaines prédations. On sait aussi que dans l’évolution, certains organes sont les héritiers d’organes plus anciens remplissant des fonctions différentes. Les ailes des oiseaux sont une évolution des pattes antérieures des reptiles, qui elles-mêmes proviennent des nageoires charnues de certains poissons, « ancêtres » des tétrapodes. Quand on l’observe avec attention, la Nature est une grande bricoleuse.

Pour en revenir au monde des hommes, il y a donc une récupération de nécessité, mais aussi une récupération chargée de valeur culturelle, les deux se recouvrant parfois, mais pas toujours. La récupération de pure nécessité est souvent associée à la pauvreté, donc moins valorisée, à moins de révéler une ingéniosité ou une adaptation remarquables. Le bidonville, lieu de déchéance autant que démonstration de vitalité, appelle ainsi des jugements ambivalents, et sans aller jusqu’à ce degré de pauvreté, l’histoire des villes et de l’architecture est pleine d’exemples de réemploi de matériaux, d’éléments ou de bâtiments. De même, les vieux meubles, les vieux ustensiles, les bibelots divers, parfois acquis à prix d’or, décorent les logements des beaux quartiers. La récupération nostalgique, créative ou poétique suscite une appréciation culturelle, marquée par la sensibilité et les conventions du goût. Depuis Duchamp, puis les Nouveaux Réalistes et bien d’autres, l’Art contemporain n’a pas manqué d’en tirer parti.

Par nécessité ou par choix culturel, il y a en tout cas dans la récupération une certaine dose d’opportunisme (ce que traduit aussi le mot occasion), mais il reste difficile de porter un jugement général sur la récupération en tant que telle car chaque fait mérite d’être évalué en fonction de son contexte. Tout au plus peut-on retenir que ce processus a pour vertu de s’opposer à la civilisation du tout jetable.

 

La récupération d’idées, un affaiblissement de la pensée ?

On parle aussi de récupération dans un sens abstrait, conceptuel, qui concerne les idées, et ce sens est alors largement péjoratif. Dans les débats politiques, on craint la récupération de ses idées, on accuse l’adversaire de récupération, mais on ne la revendique pas pour soi.

Pourtant, les idées, si elles ont parfois des auteurs ne devraient pas avoir de propriétaires. Elles sont faites pour être échangées, et on peut considérer qu’elles ont du succès dans la mesure où elles sont reprises et propagées. Encore faut-il que cela soit fait honnêtement par des gens convaincus.

C’est le problème que soulève la récupération, qui désigne une usurpation de propriété (intellectuelle) ou plus exactement une trahison de l’auteur initial, une falsification au travers d’un recyclage plus ou moins pervers. Elle participe au brouillage des valeurs (valeurs morales, valeurs culturelles, mais aussi économiques). Pour qui veut penser sainement, il est donc important de savoir débusquer ce piège, ce qui n’est pas facile car il est omniprésent. Parfois la récupération est manifeste, mais le plus souvent, elle est trompeuse, faussement sincère, insidieuse, subliminale, ou jouant hypocritement sur les doubles sens. La récupération est évidemment intéressée, on ne prend pas un masque sans avoir quelques intentions.

Sans même aborder les problèmes importants que sont la récupération des idées en politique, ou les stratégies des chaînes de télévision dans la course à l’audience, on peut déjà observer que dans notre vie quotidienne, le commerce et la publicité qui est son fer de lance, sont aujourd’hui des champions en matière de récupération. L’opportunisme marchand fait flèche de tout bois, il s’empare de tout, sans même avoir le souci des contradictions. Au contraire, les paradoxes qui interrogent provoquent des débats, et comme l’essentiel est de gagner en visibilité, tout est bon pour faire parler. Traitée sur différents modes, hypocrite et sournois, pervers et malhonnête, mais aussi ironique et blagueur, la récupération concerne des sujets cruciaux ou légers, et elle est souvent (mais hélas pas toujours) relativement vénielle. Mais ce qui est le plus préoccupant, c’est l’omniprésence des discours, car l’envahissement publicitaire finit par opérer un brouillage permanent. Tout y passe, le prestige culturel ou scientifique, le bonheur familial et les charmes de l’enfance, le spectacle de la nature, nous sommes peu à peu conditionnés par ces associations involontaires distillées par la publicité et il faut croire au vu des budgets dépensés que c’est commercialement efficace.

A propos des valeurs défendues par l’écologie, la contradiction peut atteindre des sommets : les objets les plus futiles, les plus sur-emballés, se parent des vertus de la protection de l’environnement, les industries destructrices se camouflent derrière des bonnes œuvres pour éviter la remise en cause, et les voitures les plus polluantes prétendent vous faire aimer la Nature. Dans ce domaine, on ne peut que regretter que le terme Développement Durable se prête lui-même si bien à la récupération, les deux mots qui le composent ayant des sens multiples. Certains font encore semblant de croire que le Développement Durable, c’est la croissance sans fin et peut-être même à l’infini. Ceux qui ont choisi voulaient probablement que l’opinion majoritaire s’en saisisse, mais avaient-ils pensé qu’il serait l’objet de tous ces détournements ?

Le citoyen non initié submergé par tous ces messages n’arrive plus à s’y retrouver, et l’affaiblissement des idées qui résulte de ce brouillage permanent profite en fin de compte à ceux qui ont besoin de consommateurs dociles.

Contre tout cela, il est difficile mais nécessaire d’agir

En premier lieu, il faudrait réduire l’espace offert aujourd’hui trop généreusement à tous ces discours intéressés. La publicité est une véritable drogue de nos sociétés, un dopant de l’économie, et son usage devrait être ramené à des proportions plus raisonnables. Une cure de désintoxication s’impose si on veut en revenir à plus de lucidité.

Parallèlement, il faudrait arriver, par les échanges et le commentaire, à mieux révéler une sorte de traçabilité des idées, sans pour autant revenir sur la liberté du débat. Il faut identifier les idées de seconde main, pour remonter à leur source et en vérifier la teneur, dénoncer les détournements et les escroqueries. Il faut essayer d’être vigilant autant sur ceux qui affichent des idées que sur le contexte d’origine de ces idées. Il faut s’interroger quand un gros industriel, une chaîne de grande distribution s’affichent en moralistes de l’environnement, quand un politicien opère un revirement complet et prétend donner des leçons aux adversaires dont il a repris les slogans. Changer d’idées n’est pas interdit, mais la sincérité ne peut être appréciée qu’avec de la réflexion et quelques preuves.

Mais tout cela suppose des informations, des connaissances, une culture qui deviennent rapidement difficiles d’accès. A défaut restent comme point d’appui la réflexion personnelle, la lucidité, le bon sens et la confiance bien placée.

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