COMPETITION

Liste des mots clés

La vulgate économique voit dans la compétition le moyen d’optimiser toute chose. Cette idée de la compétition comme facteur de progrès et comme panacée aux problèmes du monde a été confortée par une lecture superficielle de Darwin : la Nature, si admirable et si harmonieuse, serait le fruit d’un système impitoyable de compétition, chaque espèce ou chaque individu, en concurrence avec d’autres pour garder son espace vital ne trouvant son salut que dans l’optimisation de ses capacités.

Les sociétés humaines valorisent la concurrence dans le monde des affaires et dans l’invention scientifique et technique, mais aussi dans la glorification de la guerre et aujourd’hui dans le sport omniprésent. Les émissions de télévision les plus regardées sont les compétitions sportives et le quotidien le plus lu en France est l’Equipe. Seul le vainqueur est beau, il est adulé, enrichi, pratiquement déifié, toutes les portes de la société lui sont ouvertes.

Le monde artistique n’échappe pas à cette logique, et tous les coups sont permis pour accéder à la gloire médiatique qui fera monter la cote. Ces idoles du monde de l’art ou du sport sont des modèles rêvés pour notre société moderne en perpétuelle guerre économique.

Au passage, on en oublie quel détournement on a fait de ces activités tournées en principe vers la bonne santé ou les plaisirs des sens. Mais surtout, à transformer ainsi la saine émulation en compétition acharnée et systématique, on en oublie que l’Homme s’est aussi construit sur les valeurs de coopération et de solidarité, et on occulte aussi le véritable but de toutes ces activités.

Chacun veut rester dans la course, et si possible en sortir vainqueur, mais sait-on seulement où nous mène cette course et ce que nous apporte la victoire ? La compétition est certes un formidable moteur de l’activité humaine, mais au moins faudrait-il savoir vers où aller avant de déchaîner ce moteur. Plus nous ne pensons qu’au moyen de gagner la course, moins nous réfléchissons à son but, ce qu’il conviendrait pourtant de faire en premier. Selon l'économiste Frédéric Lordon, cette logique de concurrence a été instaurée pour obtenir des individus une implication maximale, sous la menace permanente de ses intérêts vitaux, mais cette situation d'urgence lui interdit toute réflexion sur le fond, et en cela, elle est un poison toxique pour l'orientation de la société. Par le jeu des logiques économiques mondialisées, ce poison a maintenant envahi tous les canaux de l'activité humaine dans le monde, obsédant l'esprit des grands dirigeants et se répercutant sur les modes de vie de chacun. Il n'y a qu'une différence d'objet entre l'agressivité du champion de tennis sur le court, le déchaînement chauvin des supporteurs de football, l'excitation des acteurs du marché boursier et l'arrivisme du jeune loup cadre d'entreprise.

Issu du monde des sciences, André Lebeau s'interroge lui aussi sur la pertinence de l'esprit de compétition face à la finitude de la planète. Dans "L'engrenage de la technique", il cite Francis Fukuyama qui attribue les succès du capitalisme libéral au fait (selon lui une vertu) que ses ressorts seraient conformes à la nature humaine, mais Lebeau conclut ainsi : "On ne saurait mieux exprimer que le socle du capitalisme libéral est un abandon aux pulsions génétiques de l'espèce, parfaitement aveugle à la crise qui la guette".

En effet, il nous faut aujourd'hui constater que pour parler de façon imagée, l'humanité a collectivement institué une vaste course dont elle a oublié le but. Aujourd’hui, notre moteur est surpuissant mais nous ne savons pas vraiment où nous allons. Notre terrain de jeux s’épuise et a besoin de se refaire. Il serait urgent de siffler une pause dans ce jeu qui dégénère.

Liste des mots clés