Durable est le mot qui a été choisi pour traduire l’anglais
sustainable (soutenable, supportable). En anglais, on évoque la charge que doit
supporter l’environnement et plus largement la planète. En français, c’est la
capacité de tenir dans le temps, la possibilité de prolonger les choses qui
apparaît. Lorsque cet adjectif qualifie le développement que nous souhaiterions
(en dépit de la planète finie), le paradoxe (l’oxymore, comme on aime à dire)
devient alors évident. C’est l’origine des méprises plus ou moins volontaires,
des récupérations et des polémiques autour de ce terme.
Qu’est-ce qui doit être durable ? Les objets que nous
produisons ? notre développement ou notre croissance
économique ? notre façon d’exploiter les ressources terrestres ?
notre civilisation ? Toutes ces propositions ne sont pas équivalentes et
on ne se cherche pas toujours à éviter les ambiguïtés.
Lorsqu’on parle de durable, de quelles durées parlons
nous ? de la durée d’une vie
humaine (la nôtre), de celle des quelques générations que nous serons
amenés à connaître (un peu plus de deux siècles ?) des durées mesurées aux
temps historiques (un ou deux millénaires ?), ou des durées plus longues
comparables aux temps de la paléontologie ou de la géologie. Quelle est alors
la limite de notre pouvoir d’agir ?
Au fond, pour dire les choses simplement et sans réciter le catéchisme officiel du développement durable, nous sommes à la recherche d’une civilisation que nous pourrions transmettre aux générations futures et qu’ils pourraient prolonger de façon viable sans hériter de problèmes insolubles. Pour rester à un niveau très général, il serait préférable de dire que devant les grandes incertitudes qui nous attendent, il serait sage de rendre nos sociétés plus résilientes, c’est à dire capables de surmonter les crises avec un minimum de dégâts. Pour cela il faudra sortir de ce qui a été un des fils conducteurs de la modernité, à savoir cette compréhension rationnelle, mais mécaniste des choses, qui nous a permis de mettre la planète (et les peuples) pour ainsi dire en coupe réglée. L’appauvrissement des ressources souterraines et l’érosion de la biodiversité fragilisent la biosphère tandis que nous restons incapables (à cause de l’échelle des phénomènes concernés) de maîtriser la complexité de la physique planétaire que les hommes contribuent pourtant à dérégler.
Nous
faisons aujourd’hui le constat que la logique industrielle héritée des deux
siècles précédents mène à l’impasse. Notre devoir est de remettre l’évolution
de la civilisation sur les rails
de la viabilité à relativement long terme. Renoncer à la course aux
rendements qui repose sur des analyses trop simples et garder du
respect pour une complexité qui
est en soi une ressource n’est pas encore dans la mentalité des
ingénieurs et des économistes auxquels on a confié le pouvoir. Avec la
prise de conscience plus aiguë et le renouvellement des générations,
cette façon de voir évolue. On
ne peut que souhaiter que cette reconversion au durable advienne le
plus tôt
possible et si possible sans remettre en cause les acquis humanistes de
la
modernité.
Sans présager ni de la sincérité, ni du succès de la démarche,
on peut au moins observer que ce recours incantatoire à l’idée de durable, par
sa répétition, révèle une prise de conscience diffuse mais forte. Devant la rapidité des changements amorcés
avec l’ère industrielle, nous sommes perpétuellement confrontés à
l’obsolescence accélérée des objets, des idées, des savoir-faire, et si nous
accueillons toute nouveauté avec intérêt (voire avec enthousiasme), ce
changement perpétuel qui ne vise qu’à entretenir la frénésie consommatoire nous
inquiète. L’espoir moderne a perdu sa force, et les aspects destructeurs du
Progrès deviennent manifestes. C’est en grande partie pour conjurer un
sentiment de plus en plus présent de crise proche, de finitude que nous
parlons aussi obstinément de durabilité.