Barrières, cloisons

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Les cloisons, les frontières, ce sont essentiellement des limites de domaines. Matérialisées par des enveloppes, des membranes, des parois, des murs, des clôtures, ou barrières virtuelles rendues effectives par des mécanismes sociaux, culturels ou juridiques, elles concernent un espace grand ou petit, une population, un ensemble d’éléments.

Il en est des cloisons, des frontières comme des limites en général. Si on en croit le discours dominant, elles doivent être abolies. Tout doit communiquer, la mondialisation est en marche et il ne faut pas lui faire obstacle. La disparition des frontières, le décloisonnement, la fluidité, la transparence sont pensées comme bonnes en elles-mêmes. Les choses ne sont évidemment pas si simples :

Ainsi, depuis quelques décennies, on fait tomber peu à peu les barrières douanières, ces obstacles aux échanges commerciaux, et l’humanité se mondialise. La Terre entière « nous » appartient, mais la différence de traitement entre les migrants du tourisme et les migrants de la faim montre bien qu’elle n’appartient qu’aux privilégiés et que les frontières n’ont pas disparu pour tout le monde.

On oublie également un peu vite que dans le passé, le développement des nations s’est fait sous le règne du protectionnisme, et que la prospérité des trente glorieuses s’est déployée dans un monde séparé par des frontières. Et pendant que le réseau aérien ouvre tous les pays au voyage, on construit des barbelés et des murs de sécurité aux frontières, autour des camps de rétention, des « gated communities » c’est à dire des résidences encloses et protégées.

L’argent circule sur toute la planète, rapidement et sans frein, grâce à l’interconnexion des systèmes financiers, mais il va aussi s’abriter dans des lieux de recel, à l’abri du secret bancaire et en toute opacité.

Ces exemples montrent qu’à l’image des autres systèmes vivants, un organisme complexe comme la société des hommes peut avoir parfois besoin de cloisonnement pour « bien » fonctionner.

Dans le monde vivant, l’organisme élémentaire s’appelle une cellule, ce qui dit bien qu’il est limité, et dans un animal évolué, on observe des cellules fermées, qui entretiennent un fonctionnement interne et des échanges contrôlés, et la rupture des cloisons cellulaires serait fatale à son métabolisme. Lorsque dans un organisme, les cloisons, les enveloppes sont détruites, la vie est mise en danger, et de nombreux organismes réagissent en reconstituant leurs parois, par la cicatrisation.

Mais cette question mérite d’être abordée avec plus de subtilité  car beaucoup de ces frontières qu’on observe dans la Nature sont floues ou tolèrent des transgressions. La Nature elle-même ne respecte pas toujours les frontières qu’elle semble établir : la barrière des espèces est parfois franchie, les parois cellulaires ont que certaine perméabilité, etc…

La vie ne se développerait pas sans membranes, sans cloisons, ni sans ce phénomène subtil de l’osmose qui intéresse des parois semi-perméables.

La question qu’il vaudrait mieux poser à propos des barrières de toutes sortes est donc moins celle de leur étanchéité, que celle de leur degré de perméabilité contrôlée, et de l’intérieur qu’elles protègent.

La protection devrait normalement être pensée comme un concept positif, et pourtant, le mot « protectionnisme » est encore un gros mot, même après la crise financière où l’hyperfluidité financière et les excès du commerce global ont joué un rôle majeur. Ce paradoxe montre bien à quel point le raisonnement binaire de la pensée ordinaire est insatisfaisant. S’il est évident que bien des échanges (physiques biologiques, commerciaux, intellectuels, culturels) sont bénéfiques, il faut aussi comprendre que supprimer tout frein aux échanges est destructeur, non seulement pour les barrières elles-mêmes, mais surtout pour les entités qui sont en jeu dans ces échanges. La suppression totale des barrières, l’ouverture à la concurrence généralisée et la fusion de toutes les activités humaines dans un vaste magma mondial n’est qu’un dogme à très court terme porté les intérêts d’une économie marchande rapace.

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