La racine grecque du mot énergie est associée à ergon, le
travail, et quand le mot est entré dans la
langue française au seizième siècle avec le sens de pouvoir, d’efficacité, il a vite eu un emploi scientifique proche de son
emploi actuel. On peut presque dire que c’est une notion scientifique passée
dans le langage courant, car le mot est utilisé très couramment dans
un sens moins précisément physique.
L’énergie est une notion fondamentale pour décrire et
comprendre l’univers à toutes les échelles.
Elle joue en particulier un rôle essentiel dans l’équilibre de la biosphère,
elle permet à la vie de s’entretenir, et on sait à quel point l’évolution de la
civilisation humaine est associée à l’augmentation de la consommation
d’énergie.
La base de la définition scientifique d’énergie est donc celle
de travail au sens physique, défini
comme le produit d’une force par un déplacement (qu’elle provoque ou auquel
elle s’oppose). Le concept s’est ensuite étendu à d’autres domaines lorsqu’on a
pu mettre en évidence différentes manifestations de l’énergie et les modalités
de passage d’une forme à une autre. L’énergie est fondamentale en physique,
qu’on l’envisage sous forme de travail
(relative aux forces en déplacement), d’énergie cinétique (masses en mouvement), d’énergie
calorifique (changements de température de
la matière), d’énergie électromagnétique, d’énergie chimique, d’énergie
lumineuse, ou autre. Elle s’applique à
la matière et concerne sa composition, ses états physiques, sa forme, sa
position, son mouvement.
Dans la nature, qu’il s’agisse du monde minéral ou du monde
vivant, beaucoup de phénomènes peuvent être analysés par les échanges d’énergie
qu’ils mettent en jeu. Dans le monde des hommes contemporains, toutes sortes de
dispositifs physiques (machines simples ou motorisées, piles, générateurs
électriques, combustions, réacteurs, échangeurs, ) transportent, transforment
et exploitent l’énergie. Quels que soient ces phénomènes, ces dispositifs ou
ces machines, ils respectent une loi universelle de conservation de
l’énergie totale (appelée premier principe
de la thermodynamique). Aucune énergie n’émerge ex-nihilo, elle résulte de la
transformation d’une énergie qui existe déjà, sous forme active ou latente. De
même, la dissipation d’une énergie n’est pas sa disparition, mais sa
transformation en une autre forme, concentrée ou diffuse dans l’espace.
Parmi les diverses formes d’énergie, la chaleur joue un rôle
particulier car elle est une
des formes les plus ordinaires de la dissipation d’énergie. Si elle est facile à obtenir et peut se
communiquer avec un bon rendement d’un corps à un autre, elle est en revanche
difficile à reconvertir en une autre forme d’énergie. Elle apparaît
généralement de manière à peu près inévitable sous forme d’échauffement du fait
de l’imperfection des systèmes de
transformation. Ainsi la chaleur produite par les mouvements avec frottements
ou le passage de l’électricité dans une résistance, l’émission de chaleur par
certaines réactions chimiques ou même atomiques correspondent à forme
« dégradée » de l’énergie, qui à l’échelle microscopique peut être
assimilée à une agitation corpusculaire désordonnée.
Si généralement des dispositifs physiques proches de la
perfection permettent de convertir une énergie dans une autre avec un rendement
proche de 100%, la chaleur fait exception : il n’est pas possible
d’exploiter totalement sous forme d’énergie « noble » le mouvement
désordonné de la matière chaude (ou source
« chaude »), car il faut rejeter une partie de l’agitation thermique
à une source « froide » dont le désordre (l'entropie) augmentera. C’est l’objet du
deuxième principe de la thermodynamique, assimilable au théorème de Carnot qui énonce que le rendement d’un
moteur thermique ne peut dépasser un maximum théorique, fonction des températures
des sources chaudes et froides . A moins de travailler (mais cela est
physiquement impossible) avec une source froide au zéro absolu (- 273°C,
température des corps exempts en théorie de toute agitation thermique) le
rendement des moteurs thermiques est toujours nettement inférieur à 100%. Pour les usages les plus courants, le rendement
limite de Carnot est en pratique entre 25% et 50% (ce dernier cas suppose une
source chaude dépassant 350°C).
La vie des organismes met en jeu de l’énergie, en quantité proportionnée à leur masse, avec des
variations selon leur système métabolique. Cette énergie provient de leur
environnement sous forme de chaleur échangée, de rayonnement reçu
(principalement solaire), d’aliments absorbés et métabolisés. Les végétaux, par
la photosynthèse, peuvent utiliser l’énergie lumineuse du soleil pour combiner
le gaz carbonique et l’eau de leur environnement et former les composés
hydrocarbonés de la matière végétale tout en rejetant de l’oxygène dans
l’atmosphère. Les animaux (pour une bonne part d’entre eux) vivent ensuite sur
la consommation plus ou moins indirecte de cette matière organique dont ils
tirent de l’énergie en la recombinant à l’oxygène qu’ils ont absorbé par
respiration. On peut dire que la photosynthèse convertit le
rayonnement solaire en combustible et que la matière organique représente (comme du reste d’autre composants non issus du
vivant) une accumulation d’énergie sous forme chimique.
Les hommes ont commencé leur évolution comme des animaux
« ordinaires », mais il y a 500 000 ans environ, ils ont franchi un
premier pas en en domestiquant le feu qui
libère sous forme de chaleur et de lumière l’énergie chimique accumulée dans
les végétaux secs. Puis à la période néolithique, il y a environ 10 000 ans, ils
ont domestiqué à leur profit des plantes et des animaux (dont leurs congénères esclaves), augmentant
considérablement leur pouvoir sur l’environnement et sur la matière ainsi que
leur survie. En plus du chauffage ou de la cuisson des aliments, la température
élevée des foyers a permis d’élaborer des matériaux comme la terre cuite et les
métaux, améliorant ainsi l’outillage. Certaines civilisations ont
aussi développé des systèmes mécaniques
comme la roue, la poulie, la voile, les moulins à eau et à vent pour divers
usages, améliorant le rendement du travail des hommes ou des animaux et captant
pour la transformer en travail l’énergie cinétique de l’eau des rivières ou de
l’atmosphère venteuse.
Les civilisations humaines ont ainsi connu un immense
développement pendant plusieurs millénaires,
multipliant les artefacts et les matériaux, en consommant presque
exclusivement des formes d’énergie renouvelables (si on ne les surexploite pas): force animale et
humaine, vent, rivières, combustion du bois. Par exemple, la production du
sucre dans les Antilles reposait essentiellement sur l’énergie des esclaves,
des moulins à eau, sur la combustion des fibres de canne, et sur le transport
maritime à voile.
Vers le milieu du dix-huitième siècle, l’Angleterre voit ses forêts dangereusement menacées par la demande de charbon de bois due au développement des activités manufacturières et à l’augmentation de la production de fer. Les manufacturiers trouvent alors des procédés pour rendre exploitable le charbon « de terre », matière végétale fossile emmagasinée dans le sous-sol depuis les périodes géologiques anciennes. À la même époque est inventé le premier moteur thermique capable de convertir (partiellement) en énergie mécanique (haut de gamme) la chaleur d'une combustion. La machine à vapeur permet grâce au pompage de l’eau d’exploiter mieux les mines profondes, puis de développer des transports à moteur comme le chemin de fer et le bateau à vapeur.
C’est l’amorce
de l’ère industrielle qui produira, avec le développement des sciences, un
foisonnement technique extraordinaire, associé à une mécanisation croissante
des activités, à l’augmentation exponentielle de la consommation d’énergie,
majoritairement issue du carbone fossile
(charbon, puis pétrole et gaz naturel), même si d’autres formes d’énergie ont
aussi été développées (électricité d’origine hydraulique et nucléaire
notamment).
Animée au départ en grande majorité par des entrepreneurs
privés, l’évolution industrielle est étroitement associée au développement du
capitalisme, qui rassemble les fonds des actionnaires pour permettre la mise en
place d’établissements industriels, de systèmes de transport des matières
premières et des produits, et d’infrastructures commerciales qui en assurent la
vente. Des états ont aussi participé sous diverses formes à l’investissement
dans l’industrie, mais la chute de la plupart des régimes d’économie planifiée
a renforcé ces dernières décennies la domination de la logique capitaliste dans
le développement industriel.
L’industrie et le commerce intercontinental ont transformé la
civilisation non seulement en augmentant
les quantités de matière prélevées dans l’environnement, transformées et aussi
rejetées, mais aussi en changeant la conception du bien être (outillage,
confort, santé, loisirs, diffusion de la culture ou des informations, etc…)
Le lien entre capitalisme et développement industriel et
économique explique la corrélation assez largement constatée entre
développement économique et accroissement de la consommation énergétique.
La croissance énergétique des civilisations humaines transforme
la biosphère de plusieurs façons :
· Elle
étend les zones géographiques aménagées et
modifie ainsi à un rythme soutenu
les écosystèmes et les équilibres biologiques . Cela se traduit à une
échelle globale par une diminution de la biodiversité (disparition d’espèces, prolifération d’espèces
favorisées, appauvrissement biologique des zones artificialisées agricoles ou
urbaines)
· Elle
tend à épuiser certains
gisements souterrains de minéraux, notamment pour certains métaux et pour le
carbone fossile. Celui-ci provient des
végétaux morts dans des temps très anciens (principalement l’ère primaire),
c’est une réserve d’énergie chimique produite par des centaines de millénaires
de photosynthèse accumulée et transformée par les phénomènes très lents à
l’œuvre au sein de la croûte terrestre (sédimentation et mouvements
tectoniques). Pensée comme inépuisable au début de son exploitation, nous
savons maintenant que cette réserve est limitée, et que son épuisement est une
affaire de décennies, au mieux d’un ou deux siècles.
· Nous
savons aussi que la combustion aujourd’hui massive de ce carbone libère de grandes quantités de gaz carbonique qui
en changeant les propriétés de l’atmosphère influent sur l’équilibre thermique
général de la biosphère et induisent un changement climatique
maintenant observable.
Pour échapper à l’épuisement et pour maintenir sous contrôle le
changement climatique, il faut changer radicalement notre système énergétique,
fondé à 80% sur le carbone fossile. Par ailleurs, l’énergie nucléaire sous ses
formes actuelles présente des dangers graves que nous maîtrisons mal (sécurité,
gestion opaque et ultra concentrée, dérives militaires, déchets dangereux sur
de très longues durées) et la mise au point de systèmes nouveaux tient plus du
mirage et de la fuite en avant, tant sont grandes les difficultés concrètes pour
maîtriser dans des conditions raisonnables des niveaux d’énergie encore plus
extrêmes. Pour cesser de puiser dans les stocks et s’en tenir à un
fonctionnement sur les flux, la meilleure
solution est donc d’abord de maintenir notre consommation à un niveau
raisonnable, et de se tourner vers les énergies renouvelables, dont l’impact,
sans pour autant être négligeable, reste maîtrisable.
Pour l’essentiel, celles-ci sont la biomasse (bois et dérivés, carburants extraits des
végétaux), la force hydraulique, la
force du vent, la chaleur ou
l’électricité produites directement par le rayonnement solaire et la force humaine et animale, qui dérivent toutes de l’énergie apportée par le
soleil à la Terre, et on peut leur ajouter la géothermie qui vient de l’activité du noyau terrestre, et
diverses formes d’énergies marines,
en partie dérivées de la gravitation des astres.
Chacune de ces énergies renouvelables a des limites
d’exploitation raisonnables : si on
ne veut pas aboutir à une désertification ou à une réduction drastique de
biodiversité, on ne peut surexploiter les forêts, ni les plantes dont on peut
extraire du carburant, on ne peut pas transformer à l’excès le cours des
fleuves et des rivières, on doit s’accommoder de ce que l’éolien et le solaire
dépendent de la météorologie, on ne doit pas maltraiter les travailleurs de
force ni les animaux domestiques, et par ailleurs, tout cela s’inscrit dans un
contexte économique qui impose aussi certaines contraintes pour
l’investissement et l’exploitation.
Malgré cela, et malgré des controverses alimentées par des intérêts de court terme, de nombreuses estimations sérieuses et concordantes montrent qu’il est techniquement possible qu’une humanité de neuf milliards d’habitants puisse vivre avec une bon niveau de vie en ne consommant que des énergies renouvelables. Schématiquement, et compte tenu des différences énormes entre les différentes populations de terriens, cela suppose que le monde « développé » fasse un effort important pour réduire ses gaspillages et se reconvertir au tout renouvelable, et que le monde « en développement » anticipe dès maintenant cette nécessité dans ses choix techniques.
Réduire les gaspillages, c'est notamment prendre conscience de l'insouciance que nous procure une énergie peu chère et de l'abus manifeste que nous faisons des moteurs en tous genre, pour voyager avec des raisons futiles, pour le gigantisme de certaines réalisations, pour notre confort quotidien presse-bouton, etc...
Trouver un autre développement pour les pays pauvres
ou émergents, c'est refuser de ne voir dans ces pays qu'une simple
opportunité pour retarder l'épuisement d'une logique industrielle et
économique qui accumule la dette écologique.
Comme toute grandeur physique, l’énergie est quantifiable, ce
qui permet de prendre la mesure des enjeux techniques résultant du conflit entre le développement
technique de l’humanité et les limites des ressources planétaires.
Si on part du principe qu’une civilisation humaine pérenne ne
peut fonctionner que sur des sources d’énergies pérennes, donc renouvelables (à
l’échelle des temps humains), on peut dire que toute l’énergie des hommes
devrait être d’origine solaire (la
géothermie et l’énergie des marées qui font exception sont à un niveau
d’ensemble très inférieur). L’énergie consommée par les hommes correspond
aujourd’hui à quelques dizaines de milliers de Térawatt-heures (milliards de
kilowatt-heures). Si l’amélioration de la condition des pays en développement
suppose une augmentation, l’effort des pays développés pour utiliser l’énergie
de façon moins gaspilleuse et plus responsable peut correspondre à une baisse
significative.
On peut calculer assez facilement que le rayonnement du soleil
déverse sur notre planète un flux d’énergie vingt à trente mille fois supérieur
à la consommation actuelle de l’humanité, si énorme que celle-ci puisse nous
paraître. Pour exprimer cette proportion de façon figurée, on peut dire qu’en
moins d’une heure, le soleil déverse sur la Terre une énergie égale à une année
entière de consommation de l’humanité.
L’énergie reçue du soleil irrigue notre environnement sous des
formes diverses: maintien de la température de la biosphère, phénomènes
climatiques (vent, évaporation de la mer et pluie,…), fabrication de matière
organique par la photosynthèse. Nous pouvons (et nous savons déjà) détourner à
notre profit une part de cette énergie en brûlant du bois ou des matières
végétales plus ou moins transformées, en plaçant des turbines sur les fleuves, en
installant des éoliennes, en produisant de l’eau chaude ou de l’électricité
solaire,
Comme le disait très justement Hermann Scheer, qui fut en 2000 à l’origine de la loi allemande
sur les énergies renouvelables, ce serait faire injure à nos
ingénieurs que de les croire incapables d’exploiter sous diverses formes une
fraction de l’ordre de 0,005% de ce flux solaire.
Même si cela doit passer par une reconversion assez forte du système énergétique actuel, et donc par une redistribution des intérêts économiques, il faut partir du principe que cela est techniquement faisable, et qu’une humanité de neuf milliards d’habitants est capable avec les énergies renouvelables d’assurer son bien-être matériel à un niveau proche de celui des pays développés.
Une autre façon de mesurer les enjeux est suggérée par l'expert en questions énergétiques Jean Marc Jancovici: En mettant en parallèle diverses façons de produire ou de consommer une énergie de 1 kWh, il montre que notre mode de vie mécanisé nous fait bénéficier quotidiennement des services de centaines d'"esclaves" à un coût dérisoire. Nous payons le kilowatt-heure sous forme d'essence ou d'électricité une petite fraction d'Euro, alors qu'un homme en bonne condition physique met une demie journée à produire cette énergie. Ce parallèle met aussi en évidence l'extrême commodité par rapport à d'autres formes du stockage de l'énergie sous forme d'hydrocarbure liquide, expliquant ainsi de façon très synthétique notre dépendance au pétrole.
Si on poursuit ce raisonnement, on ne peut qu'être convaincu qu'il n'est pas sérieux de compter sur les seules logiques économiques habituelles, même améliorées par des correctifs incitatifs, pour faire émerger notre reconversion énergétique. Il faudra aussi un pouvoir politique capable de fixer des objectifs aussi ambitieux que techniquement réalistes et de les imposer par la légitimité collective aux intérêts en place.
Partant de ce qui précède, on peut dire que le nœud du problème
n’est pas principalement technique . Il est en partie économique mais surtout
politique. Il est aussi philosophique car revenir à la sobriété énergétique et
ne pas la vivre comme une frustration suppose une certaine sagesse. Les
difficultés, certes réelles, sont donc mentales et organisationnelles plus que
techniques, et contrairement à ce que
proclament certains, le recours à des techniques en principe surpuissantes,
mais hasardeuses ou très hypothétiques n’est pas absolument nécessaire. A
l’opposé de ce que pensent ceux qui veulent poursuivre la course à la
puissance, la reconversion
énergétique passera par des énergies moins centralisées et plus diverses que ce
à quoi nos gestionnaires sont habitués. La plupart des dirigeants influents à
l’échelle du monde ont été formés à une vision qui en prolongeant linéairement
l’évolution des derniers siècles n’intègre pas les limites décrites plus haut.
Cette vision est fortement contaminée par un économisme prédateur aveugle aux
problèmes d’environnement, incapable de penser le progrès autrement que comme
une fuite en avant. Si cette vision du progrès a nourri avec un certain succès
deux siècles d’industrialisation, elle est manifestement irresponsable envers
les générations futures. Une civilisation technique responsable, en équilibre
avec son environnement, ne peut être nourrie que par des énergies
renouvelables.