La parenté étymologique économie – écologie incite à se poser la
question : l’écologie serait-elle par rapport à l’économie ce que
l’astrologie est pour l’astronomie ?
L’astronomie, science d’observation rigoureuse, entretient des
rapports compliqués avec l’astrologie dont elle est issue, mais qui s’avère
aujourd’hui être une pseudoscience. L’écologie serait-elle aussi une
pseudoscience, l’économie étant la branche rigoureuse ? Les écologistes
seraient-ils des charlatans, face aux économistes objectifs et sérieux ?
En réalité, ce parallèle à partir des suffixes est un piège car
ce serait plutôt l’inverse. Le paradoxe vient de ce que, quand il s’agit du
cosmos (astro-) ou de notre environnement (éco-), notre connaissance et nos
pratiques ne fonctionnent pas de la même manière. Le suffixe –logie caractérise
en principe un discours descriptif, une connaissance alors que le suffixe
–nomie désigne une mise en ordre, une action efficace. C’est manifestement le
cas pour le parallèle écologie - économie, l’exception étant ici le couple
astrologie – astronomie.
Cette bizarrerie linguistique vient de ce que, par sa
compréhension des lois de la mécanique céleste, l’astronome a semblé capable de
commander aux astres, tandis que l’astrologue se contentait d’observer et de
décrire empiriquement la supposée influence astrale sur le destin humain.
L’astronome arrive à maîtriser un problème pas trop complexe de mécanique
gravitationnelle, l’astrologue se perd dans des subtilités psychologiques
interminables. Si on doit retenir quelque chose de cette distinction, c’est que
le suffixe –nomie suppose une maîtrise et peut-être plus de simplicité que le
suffixe –logie qui doit se conformer à la complexité de l’objet décrit.
Concernant l’économie et l’écologie, on retrouve cette nuance,
appliquée à des objets d’étude qui sont de nature très différente. Les
écosystèmes sont régis par les lois de la biologie et les relations complexes
entre les organismes qui les peuplent, les échanges économiques sont des
phénomènes humains, complexes, difficiles à prévoir et volatils. L’écologie,
science modeste qui observe sans prétendre énoncer des lois trop simples ni
régenter, est probablement dans une attitude plus raisonnable que l’économie,
discipline d’action qui modélise la société humaine en la réduisant à sa
composante monétaire, avance des lois et prétend dicter l’ordre.
Finalement, on retiendra surtout que l’écologie est une science
d’ensemble, justement comme la cosmologie (l’astronomie). De même que Claude
Lévi-Strauss définissait l’anthropologie comme l’astronomie des sciences de
l’hommes, J.P. Deléage a pu ainsi définir l’écologie comme l’astronomie des
sciences de la nature.
L’écologie est donc avant tout une science d’observation, qui
analyse les relations entre les espèces vivantes partageant un même
environnement, entre elles et avec cet environnement, et qui tout en cherchant
à démêler le fonctionnement complexe des écosystèmes, ne prétend pas utiliser
les lois qu’elle révèle pour les régenter. Par contre, comme d’autres sciences
d’observation, elle propose des explications pour l’évolution observée dans les
écosystèmes et elle conforte sa validité par une certaine capacité prédictive.
A partir de là, elle intéresse d’autres sciences plus interventionnistes, en
particulier celles qui sont occupées de l’exploitation de la nature, et
notamment l’agronomie.
Science des ensembles naturels, l’écologie scientifique se
propose en particulier de nous montrer que la vie ne se réduit pas au
fonctionnement de l’individu vivant, mais qu’elle repose sur la grande unité et
solidarité de la nature dans son ensemble, sur le fonctionnement équilibré des
cycles complexes de la biologie, sur les effets des concurrences autant que des
collaborations. L’écologie scientifique émet également des appréciations sur le
caractère permanent ou transitoire d’une situation, sur son aspect normal ou
exceptionnel et en arrive ainsi à distinguer états stables, évolutions, crises
et catastrophes. Elle passe alors à des jugements qualitatifs sur la marche de
la nature, le scientifique quittant son rôle de pur observateur pour apprécier
la bonne santé d’un écosystème, et plus souvent pour s’alarmer de l’éventuelle
disparition d’une espèce, ou du dérèglement d’un cycle vital.
C’est ainsi que cette science d’observation a cessé d’être
neutre, et en est venue peu à peu à considérer que sous divers aspects l’action
de l’homme prenait de plus en plus un caractère néfaste pour la Nature. Il
s’agit moins d’opposer de façon binaire l’Homme à la Nature, mais de compter
les hommes comme des intervenants dans l’environnement. L’écologie, accoutumée
à la complexité des choses, raisonne aussi sur des échelles de temps très
longues, celles de l’évolution et de la production de la biodiversité. Elle est
ainsi capable de mieux appréhender les résultats de cette singulière propension
de l’homme à aménager son environnement à son profit. L’écologie qui voit plus
loin et plus complexe peut ainsi alerter sur les comportements à trop courte
vue et sur leurs conséquences problématiques. Problématiques pour la poursuite
de la civilisation et le bien-être de l’humanité plus que pour la pérennité de
la vie sur Terre.
Partant de l’idée qu’on ne peut solliciter outre mesure la
générosité de la Nature, les prescriptions de l’écologie scientifique,
lorsqu’elle se résout à en donner, sont surtout des mesures de précautions,
exceptionnellement des tentatives d’intervention pour sauvegarder, pour
restaurer des environnements dégradés. En cela, elle en vient à s’opposer au
développement de bien des activités humaines, telles qu’on les conçoit
aujourd’hui, c’est à dire à la logique du profit immédiat et de la croissance
indéfinie.
Si l’écologie scientifique dénonce la pauvreté biologique et
l’instabilité des écosystèmes de la grande monoculture, les pratiques
destructrices d’exploitation forestière, la surexploitation de la pêche
industrielle, les rejets toxiques et le dérèglement des chaînes causales
naturelles, c’est moins, comme certains feignent de le croire, par un amour
excessif de la Nature vierge dont l’homme serait l’ennemi que par la crainte
très fondée que l’épuisement de l’environnement par l’humanité n’aboutisse à
des crises proprement humaines. L’écologie nous montre que depuis quelques
siècles, le rapport de forces a changé, que face à l’expansion démographique et
technique des hommes, la nature, malgré sa richesse, son inventivité et sa
générosité, a une capacité d’absorption limitée et que nous avons à en tenir
compte.
Au cours d’une histoire très longue, dont la récente aventure humaine ne représente qu’un très bref moment, la biosphère a subi plusieurs grandes crises dont les causes ne nous sont pas bien connues et qui ont fait d’innombrables victimes. Mais la vie a surmonté ces crises qui ont finalement marqué des étapes importantes dans l’évolution biologique. La crise amorcée par l’industrie des hommes ne provoquera probablement pas l’extinction de toute vie sur la Terre, mais elle fera elle aussi des victimes. Son ampleur et ce sur quoi elle débouchera (fuite en avant dans la conquête brutale, régression catastrophique ou coexistence pacifiée avec une nature bien gérée) dépendra en grande partie de la manière dont nous saurons transformer notre façon d’agir.