Le cycle, c’est l’alliance du changement et de la permanence.
C’est par la répétition, les boucles, les cycles que les choses, sans être
immobiles ou inanimées, peuvent durer longtemps. C’est un fonctionnement
fondamental dans la Nature. Nombre de phénomènes physiques et en particulier
biologiques sont cycliques :
· cycles
énergétiques et chimiques,
· rotation
des astres, saisons, lunaisons et journées,
· marées,
circulation de l’océan ou déplacement des masses d’air,
· cycles
d’alimentation ou de reproduction des organismes,
· cycles
géo-écologiques du carbone, de l’azote, de l’oxygène, de l’eau etc…
Ces cycles ont toutefois des rythmes très variables, la géologie
par exemple fonctionne sur des durées de centaines de millions d’années, alors
que les cycles cellulaires se mesurent en secondes. Les cycles qui nous
concernent le plus sont ceux qui se mesurent à l’échelle des temps humains,
c’est à dire ceux qui se bouclent dans des durées ne dépassant pas l’ordre du
siècle.
Le fonctionnement cyclique est omniprésent, même s’il y a
d’autres logiques et si par ailleurs l’évolution générale de l’univers ne nous
apparaît pas comme cyclique. Actuellement, nous ne pouvons pas dire (en dehors
de spéculations d’ordre métaphysique) si l’expansion de l’Univers
depuis le Big Bang s’inscrit dans un cycle ou si elle est réellement hors de
cette logique.
La Nature est donc en grande partie sous la loi de l’éternel
retour, mais cet éternel retour n’est pas celui de Nietsche, reproduisant de
façon déterministe et à l’identique un temps en boucles, permettant surtout de
penser la mort autrement que comme une fin. En effet, les cycles de la Nature
sont en général légèrement imparfaits, voire approximatifs, ce qui est
fondamental pour l’évolution.
La vie n’a pu devenir complexe, jusqu’à produire la conscience
des hommes, que parce qu’elle n’en est pas restée aux formes primitives de vie,
indéfiniment répétées. C’est grâce aux imperfections dans l’autoreproduction
que l’évolution a eu lieu et que la biodiversité s’est instaurée, les cycles
simples laissant la place à des cycles multiples, et combinés de façon de plus
en plus complexe. C’est par la répétition patiente et obstinée d’une même formule
avec de légères modifications que la Nature a peu à peu enrichi la variété du
monde vivant.
Bien que le machinisme ait réinterprété la nature en faisant
grand usage des roues, des moulins, et des cycles thermodynamiques, ou
aujourd’hui des processus répétitifs de computation, on peut dire qu’avec
l’avènement de l’industrie, la civilisation humaine est entrée en rupture avec
les cycles naturels.
Avant cette époque, les activités humaines étaient pour
l’essentiel « branchées » sur des cycles naturels relativement
courts : saisons, cycle de régénération de la forêt pour les chasseurs
cueilleurs nomades, cycles animaux et végétaux pour l’agriculture et la
combustion du bois, cycle de l’eau ou de l’atmosphère pour les moulins. En
exploitant bien plus vite qu’elles ne se reconstituent les forêts, puis les
réserves de carbone fossile, et en rejetant dans l’atmosphère plus de gaz
carbonique que la biosphère ne peut en absorber, la civilisation industrielle
est entrée dans une logique de flux ouvert, épuisant d’un côté des stocks et
accumulant ailleurs des rejets.
En simplifiant, on pourrait dire que l'industrie est en circuit ouvert,
prélevant sa matière dans le sous-sol par les puits de mine et rejetant
ses fumées dans le ciel par les cheminées d'usine. Cette logique ne
concerne d’ailleurs pas que le
carbone, car d’autres ressources minières ou maritimes surexploitées
sont
menacées d’épuisement, et beaucoup d’autres de nos déchets s’accumulent
ailleurs que dans l'atmosphère sans
que la Nature n’arrive à les prendre en charge. Nous butons aujourd’hui
sur les
limites des stocks ou des possibilités d’absorption des rejets.
Tout le débat autour du durable, du renouvelable, tourne autour
de cette mise en circuit ouvert de
ce qui fonctionnait autrefois en boucle
Pour nous reconvertir au durable, il nous faut autant que
possible, et partout où nous voyons des circuits ouverts, chercher à refermer
les boucles. Recycler les déchets, la matière qu’ils contiennent autant que
l’énergie qu’ils peuvent dégager, exploiter des sources d’énergie
renouvelables, biomasse, solaire, hydroélectricité, éolien notamment ou même
énergie animale.
Notons au passage que tous ces cycles énergétiques sont en
réalité alimentés par l’énergie solaire, qui peut aussi être directement
captée, et qui, sans pour autant être cyclique, peut être vue comme permanente
à l’échelle des hommes sur la Terre. Le flux continu provenant du soleil,
restera constant pour encore longtemps et son épuisement se situe dans des
échéances dépassant radicalement notre rayon d’action.
Ce qu’on appelle l’analyse de cycle de vie (ACV), c’est à dire
l’attention au choix des matériaux utilisés, à la façon naturelle ou
artificielle de les recycler, à l’origine des énergies mises en jeu, devrait
être désormais un souci permanent de toute activité productive, et notamment
industrielle. Dans notre civilisation aux circuits complexes, cela suppose aussi
des possibilités de vérification, c’est à dire un étiquetage lisible par le
consommateur informé des enjeux et l’institution d’une bonne traçabilité.
Cette remise en boucles implique une réorganisation des
activités, la disparition de certaines pratiques et de certains métiers, mais
aussi la création de nouvelles activités qu’il convient de valoriser à la
mesure de leur importance.
Pour mieux penser tout cela, l’observation de l’économie cyclique de la nature peut encore nous inspirer.