La pensée (dont l'organe
est le cerveau) permet de saisir
des causalités, de former des représentations, et en conséquence de
se projeter dans le futur, d'anticiper certaines causalités.
La volonté peut être définie comme la capacité à déclencher
des actions selon ces anticipations.
On constate ainsi qu’une partie notable des agissements de
l’individu humain sont déterminés par son activité cérébrale interne, et nous appelons conscience la cohérence que attribuons à cette activité. Dans le
langage courant, nous disons que certains actes de l’individu humain sont
volontaires et déterminés par sa conscience.
La complexité de fonctionnement de cette conscience ne peut être
que très partiellement débrouillée. Les décisions conscientes sont le fruit
d’influences multiples plus ou moins faciles à discerner et d’arbitrages plus
ou moins laborieux. Il y a un lien entre volonté et liberté qui tient à une certaine imprévisibilité des actes
des humains, ou tout au moins la grande variété des réactions des individus
face à une même situation, et nous conduit à dire qu’en agissant, un sujet a (plus ou
moins consciemment) choisi entre diverses actions possibles, avec une certaine
liberté.
La liberté suppose en effet que les choix d’action soient
multiples, et que le choix final s’opère par le jeu de la volonté, donc par une
activité cérébrale consciente. Certains observateurs se fondant sur des
corrélations statistiques entre les choix des agents et certains paramètres
socio-économiques, ou constatant l’impossibilité pour l’individu de se
soustraire aux influences ou au tempérament inconscient vont pourtant jusqu’à
en déduire l’inexistence d’une véritable liberté. Je considère pour ma part que
malgré ses imprécisions, la définition intuitive et usuelle de la volonté est
suffisamment reconnue et opératoire pour ne pas avoir à prendre une position
aussi paradoxale.
Je ne crois pas en effet qu’il soit nécessaire pour parler de volonté et de liberté de démonter pièce par pièce le mécanisme
cérébral qui, à partir des perceptions,
produit les représentations, les jugements et les chaînes de décisions.
Ce qui compte est l’observation de ces phénomènes à l’échelle
macroscopique, que ce soit par l’étude des comportements ou par
l’analyse des ressentis personnels. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple,
l’existence dans un groupe social homogène de comportements suffisamment variés
ou encore d’exceptions en nombre significatif aux situations de conditionnement
ou de déterminisme social permettent à mon sens de justifier les idées de
volonté et de liberté. Evidemment, la complexité de la vie étant ce qu’elle
est, les fonctionnements possibles de la volonté sont multiples, et leur
regroupement sous un vocable unique est d’une légitimité très limitée. Les
psychologues ont à ce sujet développé des notions permettant de catégoriser
divers types de situations et de comportements, et donc diverses
formes de la volonté.
La notion de liberté, corollaire de l’existence d’une volonté
consciente chez le sujet agissant et condition de sa responsabilité, a elle aussi été longuement étudiée par les
théologiens, les philosophes et les moralistes. Avec l’émergence de sociétés
plus égalitaires favorisant l’émancipation des individus, elle a
également pris un sens politique très fort.
« La » Liberté, devenue une allégorie, est invoquée en
toutes occasions, sans faire la distinction entre des acceptions variant du
noble au prosaïque, du fondamental au superflu. Cette invocation permanente de la liberté montre à l’évidence le prix
que nous attachons aux conquêtes politiques qui permettent de garantir des
droits fondamentaux dans les pays démocratiques, mais il faut aussi garder à
l’esprit que cette valorisation de la liberté individuelle est largement
entretenue par le discours publicitaire qui ne s’intéresse à l’ego que pour
stimuler la consommation.
Il est donc important d’éviter les confusions et de regarder
séparément les questions de la liberté de l’individu, et celle des libertés
qu’organise la société.
L’individu est-il libre, alors qu’il est sujet aux limites
que lui imposent sa condition biologique, le respect de ses congénères, les
règles de la société dans laquelle il vit, et le conditionnement reçu par son
éducation ? A l’évidence sa liberté
est loin d’être absolue, au point même (nous l’avons dit plus haut) que
certains auteurs dénient même l’existence de toute liberté, arguant d’un
déterminisme sous-jacent à tout acte. Je préfèrerais dire que si la liberté
absolue n’existe pas, chaque individu agit dans une marge de liberté,
différente selon sa place dans l’édifice social, et qu’il ressent plus ou moins
ces limitations, en fonction de ce qu’elles sont, mais aussi de la façon dont
il les considère. C’est ce ressenti que chacun résume en se disant libre ou
contraint.
On le voit, l’organisation sociale a une grande influence sur
le partage plus ou moins satisfaisant de ces marges de liberté entre les
individus. C’est en abolissant les fortes
inégalités de l’Ancien Régime que la Révolution Française a choisi d’invoquer
« la » Liberté, imitée ensuite par d’autres peuples, et cette idéal
s’est propagé dans le monde. Malheureusement, en parlant ainsi de
« la » Liberté, on ne fait pas
assez la distinction entre
différentes catégories de libertés : liberté de pensée et d’expression (privée ou publique), liberté de se
déplacer, liberté du commerce, liberté d’entreprendre, liberté de réunion,
liberté de la presse, liberté de disposer de son temps, etc…Toutes
ces libertés ne sont pas équivalentes et n’ont pas les mêmes conséquences. Certaines touchent directement aux possibilités du
bonheur ou au fonctionnement harmonieux de la société, d’autres autorisent
l’invention technique, mais aussi l’accumulation de la richesse. Aujourd’hui,
la liberté quasi absolue octroyée au commerce et à la circulation des capitaux
met en péril un certain nombre de droits fondamentaux pourtant reconnus dans
les démocraties, elle fait peser une contrainte forte sur la vie des citoyens
dans le monde entier. Il faut hélas
constater que dans les pays développés, l’évolution politique vers
« la » Liberté a surtout favorisé la toute puissance de la machine
commerciale et financière, au détriment des institutions démocratiques dont les
peuples s’étaient dotés, et que sur l’ensemble du monde pèse maintenant une
contrainte permanente, faite de dépendance aux circuits monétaires, de
conditionnement par la propagande publicitaire, de pression sur les salaires et
de remise en cause des progrès sociaux.
Lorsqu’on en mesure les enjeux, philosophiques, mais aussi
matériels et symboliques, on comprend que tant de pages aient été écrites sur
ces notions de volonté et de liberté, et sur le plus ou moins bon usage que
chacun peut en faire. Les nombreux traités de morale, les querelles sur la prédestination, la difficulté des
expertises psychologiques dans les affaires criminelles, les arguties
juridiques dans les procès ou les contrats, les doutes sur les méthodes
d’éducation, les interrogations sur la notion de servitude volontaire, tout
cela traduit assez les complexités et les subtilités qui surgissent
inévitablement dès qu’on parle de volonté ou de liberté. Pourtant, dans notre
monde qui se glorifie d’être libre, la vulgate médiatique et politique
simplifie en permanence, caricature et récupère ces valeurs et les vide de leur
sens.
Dans le contexte actuel où les libertés accordées au monde
financier révèlent leur face négative et où l’écologie tend à remettre en cause
l’individualisme consommatoire il est important d’éviter les confusions et de
trouver les bonnes priorités entre les différentes formes de liberté
individuelles ou politiques. Tenter de faire passer le message de la sobriété
et peser ainsi sur certaines libertés individuelles n’est-il pas un choix plus
raisonnable que laisser se développer des situations de crise susceptibles de
porter atteinte aux structures démocratiques garantes de libertés plus
fondamentales ?