ÉMERGENCE
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Le phénomène d’émergence qu’on observe dans le monde physique permet de le décrire aux différentes échelles d'observation selon des modalités relativement indépendantes. L’émergence correspond au fait qu’à l'échelle d'un grand nombre d’éléments, un phénomène élémentaire peut se manifester selon une logique dissociée de l'échelle élémentaire et être correctement décrit par des notions spécifiques à cette échelle en principe plus complexe.

L’indétermination quantique cède la place au déterminisme de la chimie ou de la physique macroscopique, la chimie complexe débouche sur la biologie des cellules et des organismes complexes, et ensuite sur l’éthologie puis sur l’écologie. La complexité croissante des systèmes sensoriels et cognitifs débouche sur les notions d’intelligence ou d’esprit, puis mène à la psychologie. La description des groupes humains aboutit aux sciences de l’homme et aux sciences sociales. L’émergence, en ôtant l’espoir d’une compréhension exhaustive par l’analyse élémentaire, donne cohérence au matérialisme sans engendrer le réductionnisme.


L’émergence est donc une discontinuité de raisonnement lors des changements d’échelle qui rend problématique certaines possibilités prédictives. Mais dans le même temps, elle donne aussi un sens réel à des notions telles que le hasard, la liberté, la conscience, et donc la responsabilité, l’éthique, etc.


La description des phénomènes émergents permet d’adapter à nos limites de compréhension la complexité réelle des multiples échelles emboîtées. Par ce processus, nous pouvons décrire chaque échelle selon des notions qui sont propres à notre entendement. En effet, malgré les progrès que nous pouvons faire dans l’appréhension des causes élémentaires, ou dans le passage aux échelles qui nous dépassent, nous restons marqués par une compréhension façonnée à l’échelle de notre vécu d’être humain sensible et éduqué. Souvent, nous personnifions les éléments (atomes crochus, gènes égoïstes, …) ou les ensembles complexes (volonté du pays, amitiés internationales, etc…) sans nous rendre compte que ces glissements de sens sont porteurs de confusion, mais c’est là notre façon d’intégrer notre observation dans les schémas de notre intelligence. En particulier, nous abusons très souvent des expressions collectives telles que « nous », « ils », « on », « la société », « l’homme », « l’humanité ». Mais comment l’éviter ?


Même si nous parvenons à décrire correctement certains phénomènes, nous voyons aussi des logiques qui nous échappent, des paradoxes, et nous en sommes souvent réduits à des approches qui paraissent imparfaites ou imprécises. Ainsi, nous parvenons à établir des liens probabilistes entre physique des corpuscules et physique macroscopique, mais nous n’arrivons pas à débrouiller la complexité des mécanismes climatiques ou des logiques génétiques, ni à décrire des mécaniques psychiques élémentaires, ni à faire des liens fiables entre comportements individuels et orientations collectives. La météorologie ou la climatologie, la génétique moléculaire, l’économie sont des sciences à prédictions floues.


La logique de l'émergence nous permet de recourir à des concepts valides dans leur domaine, sans avoir à en répercuter les propriétés dans les niveaux inférieurs ou supérieurs de l'organisation naturelle. Ainsi, des notions telles que la volonté, l'amour, la peur, l'esprit, ont-elles un sens pour analyser les comportements de l'individu humain dans diverses circonstances, mais leur validité bien réelle n'oblige pas à attribuer un esprit, une volonté, etc... aux particules élémentaires ou aux lois physiques. De même, nous devons admettre que ces termes, appliqués à un groupe ou une société d'hommes ou à des animaux, ne peuvent être transposés sans précautions quant à leur définition, ou même peut-être même ne peuvent pas trouver d'équivalent pour ces objets d'étude.

Il est ainsi possible d'être matérialiste sans pour autant avoir à tout justifier par une pensée réductionniste.

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