Usine à gaz

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Même si nous avons pour elles une certaine fascination, nous n’aimons pas les usines à gaz. Elles sont compliquées, dangereuses, polluantes, et pour tout dire assez inhumaines. Les usines à gaz sont un emblème de la complexité du monde moderne où tout est interconnecté. Elles sont apparues dans les villes d'Angleterre et de France au début du XIXe siècle pour y produire le gaz d'éclairage à partir du charbon et, comme d'autre innovations, sont vite devenues des objets de polémiques, notamment après les premiers accidents.

Malgré une apprente maîtrise des risques, l’urbaniste les relègue désormais dans les banlieues industrielles (où parfois elles explosent encore) et l’homme de la rue préfère les oublier.

De plus contrairement à la manufacture de meubles, l’usine métallurgique ou l’usine de voitures, on construit l’usine à gaz pour une production insaisissable: du gaz, pour ne pas dire du vent. Toute cette installation, ces tuyaux, ces manomètres et ces vannes, toutes ces nuisances et tous ces dangers pour si peu ! Et encore, malgré sa complexité apparente et toute relative, l’usine à gaz de la réalité est conçue pour une tâche bien définie, elle fait appel aux lois relativement maîtrisées de la chimie, et ses perfectionnements sont surtout destinés à optimiser le rendement, à permettre une gestion par un personnel réduit, à minimiser les rejets polluants.

On parle en toutes occasions  d’usine à gaz au sens figuré pour des choses au fonctionnement un peu compliqué:

La nature nous en fournit de nombreux exemples: le métabolisme des organismes, les cycles des écosystèmes sont des usines à gaz, notre biosphère est elle-même une vaste usine à gaz, et c’est précisément ces fonctionnements en cycles interconnectés que nous avons du mal à comprendre. La complexité des programmes pour simuler le comportement de la biosphère le démontre bien. Et pourtant ils ne donnent qu’une idée très simplifiée du problème.

De même, les sociétés modernes avec leurs circuits économiques interdépendants, leur régulation délicate, fonctionnent comme des usines à gaz. Récemment, la machine à profit de la finance mondiale, avec ses produits dérivés, ses transactions à terme, ses flux virtuels, ses spéculations, a explosé comme une usine à gaz échappant au contrôle.

Si on ne peut se défendre d’une certaine admiration devant la complexité technique maîtrisée, le terme reste cependant péjoratif. En matière de gouvernance, même si c’est en réponse à des problèmes complexes, nous n’aimons pas que les appareils législatifs ou les systèmes d’organisation deviennent inextricables, et nous rêvons de pouvoir résoudre les problèmes difficiles de nos sociétés par des solutions simples et évidentes, et surtout pas par des « usines à gaz » législatives, fiscales ou réglementaires. Il y a peut-être un peu d’immaturité à vouloir ainsi éluder la complexité des choses, mais la hantise de l’usine à gaz révèle aussi une crainte de l’improductivité, et surtout une peur de perdre le contrôle, de trop dépendre des seuls spécialistes experts. Notre inquiétude face aux usines à gaz est donc, en même temps que l'aveu implicite de notre incompétence face à trop de complexité, une volonté de transparence démocratique.

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