Très souvent, ceux qui observent la Nature font le
constat
admiratif de son harmonie, de son économie.
Nos rapports avec la Nature sont
permanents et nous sommes
sensibles à sa richesse, sa variété, ses changements, mais aussi son
immuabilité, en bref sa grandeur et son harmonie.
Notre évolution biologique a probablement
forgé notre
sensibilité vis à vis de notre environnement : lumière,
couleurs,
mouvements, odeurs, bruits et sons, température. Nous formulons des
jugements
implicites ou explicites sur ce que nous percevons de la Nature, et
probablement, étant plus attirés par une
Nature favorable à notre vie,
nous
avons d’elle une vision plutôt optimiste. Ce qui n’exclut pas d’être
aussi
effrayé, dominé, inquiété, etc…Notre point de vue sur la Nature n’est
donc pas
objectif, il est à l’évidence filtré et déformé par notre condition
d’humain,
et même d’humain occidental du vingt et unième siècle. Nous voyons de
l’ordre
et de l’harmonie quand notre compréhension des choses nous permet
d’organiser
notre vie dans une Nature qui pourvoit à nos besoins, mais nous restons
soumis
aux catastrophes imprévisibles,
qui nous rappellent que la Nature sait aussi
être hostile ou déroutante. Il est vrai que la lecture par la science nous permet
de mieux
maîtriser nos rapports avec l’environnement, de mieux lire le monde, et
donc de
l’admirer plus à notre aise, et qu’à défaut de tout comprendre, nous
espérons
parvenir un jour à mieux apprivoiser les aléas naturels.
D’un point de vue plus
« objectif », quelques
propriétés attestent d’une harmonie, d’un optimum, d’un équilibre
naturel. Nous
observons dans la Nature l’effet des grandes lois physiques, qui sont
souvent
des lois d’équilibres, d’optimums. La stabilité de l’ordre naturel
rassurait
probablement les hommes cherchant une survie assez précaire dans un
environnement
difficile.
Mais à côté de cet ordre naturel, il y a
aussi des lois de
dégradation, de déchéance, et sur le chapitre du désordre et de
l’informe, nous
sommes mal préparés à une observation correcte. La Nature peut aussi
nous
apparaître comme gaspilleuse, cruelle, illogique, absurde par bien des
aspects. Grâce à notre regard plutôt
sélectif, nous minimisons les aspects chaotiques et pour nous
incompréhensibles,
par
rapport aux connaissances rationnelles
qui traduisent l’harmonie
naturelle. Dans d'autres circonstances, tout en reconnaissant
qu'elles lui sont intrinsèques, nous cherchons à corriger ces imperfections de la Nature.
Plus surprenant est que nous voyons la
Nature évoluer vers une
complexité,
une richesse croissantes, en quelque sorte, une
inventivité, une
créativité qui participent à sa stabilité.
Ce que nous apprécions probablement sans
le formuler
explicitement, c’est une combinaison de compréhensible et
d’incompréhensible,
d’ordre et de désordre, de constance et de variété, dans des degrés
auxquels
nous sommes habitués ;
L’harmonie naturelle est elle assimilable au bien ? Il est risqué, et probablement assez spécieux de chercher à tirer des leçons morales de l’observation de la Nature. C'est l'erreur d'un Leibniz, qui analyse mathématiquement les conséquences physiques de certaines lois naturelles, en constate l'harmonie, et extrapole ce point de vue pour affirmer un optimisme de principe totalement confiant dans l'organisateur de toutes choses. Voltaire a bien saisi l'absurdité de cette posture en montrant le ridicule du personnage de Pangloss, qui subit tous les malheurs avec béatitude, certain qu'ils font partie d'un ordre supérieur.
Trouver une harmonie, une économie, un ordre et même
une beauté dans certains aspects de la Nature ne doit pas conduire à en
faire pour toutes choses un modèle moral. Il faut là encore faire
preuve de discernement et ne pas confondre (même si elles sont
interdépendantes) les affaires humaines et la marche de la Nature.
C'est cette erreur que commettent des doctrines telles que l'eugénisme
ou le darwinisme
social, responsables de méfaits humains au nom d'un ordre "naturel"
supérieur. Aujourd'hui, certaines versions de l'ultralibéralisme
postulant une harmonie dans l'économie
livrée à sa seule "nature" s'apparentent à cette attitude.
Tout au plus, s’il fallait absolument essayer de voir dans la Nature des qualités absolues qui puissent nous éclairer, je pense qu’on pourrait résumer les vertus de la Nature à sa permanence à long terme, qui n’exclut pas l’évolution, et à sa capacité à produire de la diversité. En bref, inventivité, complexité, fonctionnement cyclique, stabilité, évolutivité.