Le Principe Responsabilité

Une éthique pour la civilisation technologique

Hans Jonas (Champs Flammarion 1979)

 

But du livre : Proposer à l’homme rendu surpuissant par la technique une éthique, c’est à dire d’un système de valeurs pour diriger son action. Cette éthique doit être fondée, non sur les religions ou les traditions (qui sont obsolètes), mais sur la métaphysique, et doit l’amener à prendre conscience de sa responsabilité envers la Nature et à éviter le suicide collectif de l’humanité.

1.                La transformation de l’agir

Pour Jonas, l’histoire de l’humanité et de la civilisation montrent l’émergence d’une éthique qui conçoit le bien des hommes en les pensant hors de la Nature.

Dans le même mouvement, l’homo faber prend le pas sur l’homo sapiens, l’anticipation du futur tout autant que la complexité des systèmes techniques entraînent l’humanité dans une dynamique du progrès technique sans repères éthiques.

2.                Fondements et méthodes

Les éthiques traditionnelles ou anciennes sont aujourd’hui devenues obsolètes. Les critères de cohérence ne fonctionnent plus, et le pouvoir d’agir de l’homme a changé de mesure

On fait le constat de la crise ouverte par la dynamique de l’utopie moderne :

·        Crise des rapports de l’Homme avec la Nature

·        Nécessité de voir loin, car nous « pouvons loin »

·        Heuristique de la peur

·        La certitude actuelle d’avoir une postérité nous rend responsables vis à vis de l’avenir

·        Obligation de ménager l’avenir, et donc dans l’incertitude, priorité à la prudence

3.                Les fins et leur position dans l’être

L’Homme, y compris avec son esprit, n’est pas « hors la Nature » :

·        Il n’y a pas de séparation dualiste corps-âme

·        Le Bien n’est pas dans l’au-delà, il est contenu dans la Nature

·        La Nature a un sens, une fin : La vie est une émergence qui tend à sa perpétuation. Cette fin s’impose à l’Homme qui est tenu de s’y soumettre : cette fin ne peut pas être la disparition de l’Homme

·        La valeur des actions de l’homme peuvent se mesurer à leur cohérence avec les fins de la Nature. C’est la base de la notion de Bien attachée à la (bonne) marche de la Nature en soi.

·        La liberté d’agir de l’Homme (liée à sa conscience) est associée à sa responsabilité. Celle-ci s’est accrue avec sa puissance d’action.

·        Pour tout esprit dont le jugement n’est ni rétréci par l’égoïsme, ni brouillé par l’abrutissement, la Nature suscite le respect, et même l’affection.

·        Compte-tenu de l’actuelle fragilité de la Nature, on débouche sur la responsabilité de l’Homme envers la Nature.

4.                Théorie de la responsabilité

Une version de la responsabilité correspond à la réparation d’un dommage par celui qui en est la cause par ses actes (sans nécessairement qu’il y ait faute morale ou culpabilité). C’est la responsabilité du droit civil, distincte de celle du droit pénal.

L’autre version de la responsabilité est celle de celui qui a un pouvoir sur quelque chose qui rencontre son affection : responsabilité (biologique et sociale) des parents, responsabilité (instituée ou choisie) du dirigeant politique.

Ces deux formes de responsabilité prolongent le passé et préparent l’avenir. Une des difficultés dans leur exercice est la complexité de la vision de l’avenir, notamment en politique.

C’est l’extension du pouvoir d’agir et de la puissance prédictive qui met la responsabilité au premier plan des valeurs morales. (Avant on avait le destin, la permanence des phénomènes).

A la différence des responsabilités classiques, la responsabilité à laquelle nous sommes confrontés est collective. La réaction à cette responsabilité est donc problématique.

La responsabilité envers le nourrisson tient à son potentiel de vie et à son extrême vulnérabilité. Elle s’adresse aux géniteurs, mais aussi à chaque être humain.

5.                La responsabilité aujourd’hui

La responsabilité envers le vivant a émergé avec sa fragilité face à l’impact des hommes et au fait qu’ils en sont conscients. C’est une responsabilité des hommes, et la difficulté de sa mise en œuvre tient au fait qu’elle est collective.

L’idéal de progrès s’est mué en menace de catastrophe. Quel régime est le plus à même d’imposer ou de faire advenir les limites ?

Le capitalisme libéral est trop laxiste et dépendant de la surproduction. Le marxisme devrait être réformé mais son centralisme et son égalitarisme recèlent un potentiel. Cependant ces deux doctrines opposées sont en réalité pétries de technique, étant nées l’une et l’autre de la révolution industrielle.

6.                La critique de l’utopie

Longue discussion sur l’idée de progrès humain, moral, scientifique, technique ou politique, et sur leur liens éventuels. Sur la notion d’utopie, d’où il ressort que les meilleurs systèmes sont probablement des compromis instables, ce qui est contraire à l’utopie, à moins de différencier utopie de perfection et utopie d’équilibre.

Les limites nous ramènent au problème de l’énergie pour l’exploitation agricole et minière de la terre, à l’épuisement du carbone fossile et à la crise climatique.

Le nucléaire, en plus de ses dangers connus, si une solution permettait d’en libérer l’usage, induirait un problème de réchauffement par excédent (à évaluer ?)

Jonas souligne l’absurdité d’une société de loisirs ou d’oisiveté, liée à la désolidarisation par l’abondance, qui traduit un mépris implicite pour l’histoire humaine.

Nous avons une conception inquiétante de « l’humanisation de la Nature », et nous ferions mieux de refuser l’utopie qui suppose un homme nouveau illusoire.

Admettre de ne pas tendre vers la perfection, admettre que la satisfaction est compensée par une insatisfaction, mais arbitrer en responsable.