Ayant consacré toute son activité
à des actions de coopération dans les pays en développement, Ivan Illich
(d’origine autrichienne, mort au Mexique en 2002) constate la difficulté
d’importer les techniques dites modernes dans ces contextes de coopération.
Dans cet ouvrage assez court, mais
fondamental pour qui s’intéresse à l’évolution des techniques, il nomme convivialité la capacité d’un outil ou d’une technique à accroître le pouvoir d’action sans
engendrer la dépendance de l’usager et dans le respect de son humanité.
Il constate que dans le développement technique, le progrès s’accompagne en général d’une perte d’autonomie, d’une dépendance, et que pour chaque système technique le bilan de cette évolution est d’abord croissant, puis passe par un optimum stagnant, pour décroître ensuite, quand les pertes de convivialité sont plus pénalisantes que les avantages tirés de l’innovation technique.
Le Progrès technique cesse
alors d’être un Progrès humain.
Dans bien des domaines, les
sociétés occidentales ont dépassé les optimums de convivialité, et seule leur
dépendance leur interdit une remise en cause douloureuse, mais pourtant
souhaitable. En ce qui concerne les pays en développement, l’important est
surtout de ne pas les engager dans le même chemin, et de les aider à trouver
directement par leur propre voie les systèmes techniques optimums.
Ce raisonnement peut s’appliquer
autant aux techniques de production agricoles, artisanales ou industrielles,
qu’aux systèmes de transport, aux systèmes de santé ou d’éducation.
Parmi divers exemples, on
retient souvent le raisonnement relatif aux transports qui, ajoutant au temps de déplacement lui-même le temps
consacré à payer le véhicule, l’énergie et les autres frais permet de
recalculer une « vitesse généralisée »
et de comparer la « convivialité » des différents moyens de transport.
La sagesse consisterait donc à admettre des limites, à choisir une certaine frugalité, pour éviter un engagement excessif dans les dépendances et les escalades techniques contreproductives.
Ivan Illich s’est d’ailleurs appliqué à lui-même ces principes, en installant son institut au Mexique, et en renonçant à l’excès de médecine pour soigner la tumeur dont il se savait atteint.
Remettant en cause des acquis
sociaux aussi reconnus que la médecine moderne pour le plus grand nombre ou le
fonctionnement de l’institution éducative et universitaire, ce livre dérangeant
a été assez mal reçu à son époque, sauf dans les cercles contestataires s’interrogeant
sur le sacro-saint Progrès.
Les évolutions récentes des sociétés (au Nord comme au Sud) sous l’influence de la mondialisation néolibérale montrent pourtant combien cette analyse était pertinente.