Nicholas Georgescu-Roegen est un mathématicien passé à l’économie, exilé de Roumanie au lendemain de la 2ème guerre mondiale. Il est un précurseur important et radical dans cette manière d’inscrire l’économie dans son contexte physique global.
Cet ouvrage est une réédition de quatre textes échelonnés entre 1971 et 1982 qui sont une critique globale des dogmes économiques sur la base des principes de la thermodynamique (la plus économique des sciences dures). L’économie dont l’ancrage physique ne peut être aboli n’échappe pas aux lois de déperditions dans les échanges, ni à la finitude de la planète. Ce qui invalide non seulement les dogmes dominants de la croissance, mais aussi ceux du système stationnaire (à cause de la finitude des stocks de matériaux) proposés par les mouvements contestataires de l’après 68 ou 74.
N. Georgescu-Roegen pointe la déconnexion entre économie et sciences de la nature, entre valeur-richesse et éléments naturels et physiques.
L’Entropie est la part de l’énergie qui ne peut pas être reconvertie. N. Georgescu-Roegen généralise cette idée d’une perte inévitable aux échanges de matière en parlant d’une entropie de matière (usure, déchets, etc…)
Si N. Georgescu-Roegen confond improprement entropie et énergie liée – énergie utilisable et énergie libre, il constate justement l’inclusion de l’activité humaine (de l’économie) dans un système Terrestre (presque) clos. Il distingue entre les flux et les stocks et note la finitude des stocks. Il pointe que tout fonctionnement est générateur de dégradations (chaleur dissipée, déchets, usure, ….) conformément au 2ème principe de la thermodynamique.
Ce point de vue global, rigoureux (mais non calculé), inéluctable, est refoulé car l’économie, liée aux activité humaines, pense à court terme.
Tout se passe comme si l’espèce humaine avait choisi de mener une vie brève mais excitante, laissant aux espèces moins ambitieuses une existence longue, mais monotone.
L’économie, fondée au XVIIIème siècle est newtonienne et laplacienne, et elle l’est restée. Le dogme mécaniste propose des modèles régis par un principe de conservation et une loi de maximisation. Selon les théoriciens de l’économie, les processus économiques oscillent autour d’états d’équilibre stationnaires (dont on oublie de dire qu’ils sont alimentés de façon constante par l’environnement physique, ou tout au moins qu’ils le sont à titre gratuit).
Pour N. Georgescu-Roegen, ce rêve de l’état stationnaire est un mythe apparenté aux mythes physiques de mouvement perpétuels.
De même, il réfute le mythe de l’immortalité de l’espèce humaine, la question étant plus de ne pas en accélérer la fin, ou de ralentir les processus de décadence. Il faut donc ne pas se comPORT 90,44,93,115,130,125 jeunes (fuite dans la modernité) et rechercher un régime sain.
Si la mécanique Newtonnienne est réversible et sans dissipation, la réalité de la Nature est soumise à la dégradation progressive de l’énergie en chaleur, dont une partie ne sera pas exploitable suite à l’uniformisation par échanges thermiques uniformisants. Par l’inclusion de l’activité humaine dans l’univers physique, l’économie est directement ou indirectement soumise au théorème de Carnot.
Certes, dans la nature, les plantes ralentissent (par photosynthèse) la dégradation entropique, mais ce n’est qu’un ralentissement localisé dont la capacité est limitée.
L’énergie accessible n’est qu’une partie de l’énergie utilisable car il faut pouvoir au moins libérer un solde positif dans le processus (exemple des limites d’exploitation du charbon ou des schistes bitumineux). De plus, pour être utilisable, elle doit pouvoir se situer dans des plages d’intensité compatibles avec la biologie (même si on tente d’élargir ces plages).
Les déchets produits augmentent avec l’activité, et réduire les déchets (ou les éliminer correctement) fait en général baisser le rendement. Une exception pour les déchets et rejets qui peuvent être absorbés dans les cycles naturels terrestres (sans dépassement de leur capacité).
Les nombreux arguments contre le problème de la dégradation entropique (développés notamment pour contrer le rapport Meadows) tiennent tous de la croyance au mouvement perpétuel, ou à l’éternelle jeunesse. Ces arguments viennent majoritairement des milieux économistes (Solow, Beckermann, ….) et révèlent une grande mauvaise foi.
N. Georgescu-Roegen dénonce comme mythes, polémiques et sophismes les dogmes, tant libéraux que marxistes, de la croissance économique, qui, entretenant souvent la confusion entre valeur et bien-être, ne sont pas clairs sur la dissociation avec la croissance concrète, elle-même non viable.
De même, au nom de la dégradation matérielle inéluctable (4ème principe de la thermodynamique), N. Georgescu-Roegen dénonce le mirage à la mode de l’état stable, fonctionnant sur le seul flux solaire, car toute technique puise plus ou moins dans les stocks de matière. De ce fait même l’état stable ne l’est que provisoirement, car il est sujet à une usure, à une sclérose entropique.
Eléments de bioéconomie :
La dot de l’humanité (flux solaire, stocks terrestres d’énergie et de matière) est porteuse d’asymétries :
· Soleil flux – Terre stock: contrairement au stock, le flux n’est pas monopolisable par une génération
· Energie – Matière : il n’y a pas de flux terrestre de matière (hors matière organique dérivée du soleil et cycles géologiques très lents)
· Energie solaire (énorme) – réserves d’énergie (limitées) N. Georgescu-Roegen propose des calculs
· Energie diffuse – énergie concentrée avec la commodité inégale d’utilisation
·
Propreté du solaire – pollutions du fossile
terrestre
· Nature – homme : la nature est inscrite dans les cycles solaires, l’homme avec ses outils exosomatiques s’en est extrait
N. Georgescu-Roegen dénonce notamment le gaspillage énergétique de l’agriculture moderne, qui en prétendant améliorer l’exploitation du flux solaire, exerce une pression accrue sur les stocks de basse entropie.
Programme Bioéconomique minimal :
· Interdire la guerre et la production d’armes
· Consacrer ces efforts à l’aide aux pays sous-développés
· Diminuer la population
· Lutter contre les gaspillages d’énergie, en attendant la reconversion
· Se guérir de nos appétits consommatoires
· De débarrasser de la mode
· Produire des marchandises durables et réparables
· Se guérir du « cyclondrome » du rasoir électrique (critique apparentée à celle de Illich)
Y sommes-nous disposés ou préférons-nous pour l’homme un destin bref, mais fiévreux, excitant et extravagant, abandonnant monotonie et durée aux autres espèces ?
L’idée de l’état stationnaire, promue par la vulgate écologiste, renoue avec des conceptions anciennes (Platon, Aristote, etc, jusqu’à John Stuart Mill). C’est l’ère industrielle et l’économie moderne (Adam Smith) qui ont institué le dogme du progrès et de la croissance.
N. Georgescu-Roegen, en l’inscrivant dans les lois physiques universelles en montre aussi l’inanité.
Si on peut être d’accord avec N. Georgescu-Roegen sur le principe dans l’absolu, il faudrait aussi tenir compte des échelles de temps relatives aux divers phénomènes pour admettre toutefois que cette idée représente un moindre mal souhaitable.
En particulier, si le rythme d’épuisement des stocks est suffisamment ralenti par des mesures d’optimisation et de recyclage, leur durée peut être prolongée au niveau de délais dépassant des horizons raisonnables.
Ce texte, ajouté dans la nouvelle édition de 2006, reprend sous une formulation plus mathématisée l’argumentaire relatif aux applications à l’économie des principes de la thermodynamique. Mais si l’entropie énergétique peut être quantifiée, l’entropie attachée à la matière ne peut pas l’être, ce qui fait obstacle à une modélisation rigoureuse.
N. Georgescu-Roegen propose néanmoins un essai de matrice d’inclusion de l’économie dans l’environnement physique.
Revenant sur l’histoire du progrès des techniques humaines, N. Georgescu-Roegen pointe deux innovations décisives :
· Prométhée I : la maîtrise du feu et ses conséquences sur l’alimentation, le confort domestique et les techniques d’outils et de matériaux. On convertit l’énergie chimique en chaleur. C’est l’âge du bois
· Prométhée II : la machine à vapeur et à la suite les moteurs thermiques (Savery, Newcomen, Papin), permettant le pompage dans les mines et résolvant la crise de la déforestation. C’est l’âge des combustibles fossiles
Maintenant (1982), nous attendons Prométhée III
· Le nucléaire conventionnel n’est qu’une extension de Prométhée II
· Le surrégénérateur est chargé de grands risques
· La fusion thermonucléaire est probablement illusoire, au mieux elle en restera au stade des bombes, c’est-à-dire de l’énergie non maîtrisée utilisée à des fins destructrices
· Le solaire est embryonnaire et pose le problème d’une énergie diffuse. Toute concentration est coûteuse en matière
En attendant Prométhée III (ou le glissement plus ou moins brutal vers une technologie moins chaude et un nouvel âge du bois), une seule stratégie, la conservation bien planifiée.
Peut-être les économistes, au lieu de travailler sur la gestion de la croissance, chercheront-ils alors des critères optimums pour planifier la décroissance.
Cette politique de conservation qui doit dépasser les cadres nationaux peine visiblement à faire son chemin et nous semblons (en 1982) ne nous soucier que très peu du conflit futur pour la possession du dernier baril de pétrole. Pire, certains courants scientifiques poussent au fatalisme en arguant d’une nature agressive et égoïste de l’homme, qui l’empêcherait de suivre le conseil de la sagesse.
« Certes, il y a une crise de l’énergie, mais à ce qu’il paraît, la vraie crise est la crise de la sagesse humaine. »